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L’Abbé Bournisien dans Madame Bovary

Par   •  24 Octobre 2017  •  2 005 Mots (9 Pages)  •  612 Vues

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aller à Maromme), et je dis même : mon Riboudet. Ah ! Ah ! Mont-Riboudet ! » (15)

Il plaisante encore quand il rend visite à Hippolyte, estropié par la malencontreuse opération de Charles :

« Il causait avec l’aubergiste et même racontait des anecdotes entremêlées de plaisanteries, de calembours qu’Hippolyte ne comprenait pas. » (16)

Enfin, alors que Charles, Homais, Binet et le curé se retrouvent tous ensemble dans le jardin pour boire du cidre doux au rétablissement d’Emma, si le bouchon saute et que le cidre déborde, « alors l’ecclésiastique ne manquait jamais cette plaisanterie :

« —Sa bonté saute aux yeux ! » (17)

Et comment oublier le spectacle de Bournisien et de Homais, tous deux endormis près du cadavre d’Emma :

« Ils étaient en face l’un de l’autre, le ventre en avant, la figure bouffie, l’air renfrogné (…) se rencontrant enfin dans la même faiblesse humaine » (18)

et qui, se réveillant, « mangèrent et trinquèrent ». (18)

L’homme, toujours, l’emporte sur le prêtre. Symboliquement, la soutane de Bournisien, signe de sa fonction, est maculée de taches de nourriture et de tabac. :

« Des taches de graisse et de tabac suivaient sur sa poitrine large la ligne des petits boutons, et elles devenaient plus nombreuses en s’écartant de son rabat, où reposaient les plis abondants de sa peau rouge ». (19)

Parle-t-il de son état de prêtre ou s’aventure-t-il à discuter religion, presque toujours est alors souligné un détail qui détruit l’effet de ce qu’il dit et crée souvent un contraste comique.

Ainsi, quand il se compare à Charles :

« Mais lui, il est le médecin des corps, ajouta-t-il avec un rire épais, et moi, je le suis des âmes ». (20)

Plus tard, lorsqu’il condamnera doctement les spectacles :

« Enfin, ajouta-t-il en prenant subitement un ton de voix mystique, tandis qu’il roulait sur son pouce une prise de tabac (…) ». (21)

Mais, plus grave encore : ce côté matérialiste se retrouve dans les propos de Bournisien. Inutile de rappeler la scène si connue entre Emma et le curé, lors de laquelle la jeune femme recherche un réconfort moral tandis que le prêtre ne « songe qu’au physique ». (22)

Si, lors de ses visites à Hippolyte, le curé incite l’infirme à reprendre ses pratiques religieuses, quels arguments emploie-t-il ? L’espérance d’une vie future ? Non, il évoque avant tout des raisons sentimentales :

« Oui, fais cela ! pour moi, pour m’obliger ». (23)

Sa foi est fondée sur une sorte de pari mesquin où il n’a rien à perdre. C’est en somme une assurance pour le cas où, par hasard, Dieu existerait :

« Ainsi, par précaution, qui donc t’empêcherait de réciter matin, et soir un « Je vous salue Marie, pleine de grâce » et un « Notre Père, qui êtes aux cieux ? » (24)

Et quand Hippolyte témoigne du désir de faire un pèlerinage, « M. Bournisien répondit qu’il ne voyait pas d’inconvénient ; deux précautions valaient mieux qu’une. On ne risquait rien ». (25) La religion est toujours rabaissée par lui. Quand Emma est malade, après la fuite de Rodolphe, « il l’exhortait à la religion dans un petit bavardage câlin qui ne manquait pas d’agrément ». (26)

Enfin, lorsqu’il vante à Homais les mérites de la confession, c’est pour en souligner l’intérêt pratique :

« Il s’étendit sur les restitutions qu’elle faisait opérer ». (27)

C’est pourquoi Flaubert, lorsqu’il montre Bournisien dans l’exercice de son culte, s’attache à le décrire de l’extérieur. Nous ne voyons plus alors que des gestes qui semblent absurdes, parce que dénués de toute signification. Ainsi, Flaubert ne nous dit presque jamais que Bournisien est en train de prier, mais il écrit :

« Le prêtre, appuyé sur un genou, marmottait des paroles basses ». (28)

« M. Bournisien continua quelque temps à remuer tout bas les lèvres ». (29)

Ainsi, quand il célèbre la messe d’enterrement, il n’est plus qu’une sorte de pantin :

« Il saluait le tabernacle, élevait les mains, étendait les bras ». (30)

Enfin, la dernière image que nous garderons de Bournisien sera totalement négative : c’est celle d’un homme acariâtre et presque gâteux. Flaubert laisse alors la parole à Homais, le plus grand adversaire du curé :

« D’ailleurs, le bonhomme tournait à l’intolérance, au fanatisme, disait Homais ; il fulminait contre l’esprit du siècle, et ne manquait pas, tous les quinze jours, au sermon, de raconter l’agonie de Voltaire, lequel mourut en dévorant ses excréments, comme chacun le sait ». (31)

Le portrait que Flaubert a tracé de Bournisien est donc extrêmement sévère. Flaubert a traduit dans la peinture de ce prêtre tout le ressentiment qu’il éprouvait contre une certaine forme de clergé et peut-être contre tout clergé. Partant d’expériences personnelles (la scène de la visite d’Emma à Bournisien est le calque d’une aventure qui lui est arrivée et qu’il rapporte dans Agonies), il a pourtant su faire croire à une description objective, cherchant à s’effacer au maximum pour donner plus d’authenticité à son personnage.

Dans son souci de faire de Bournisien un prêtre ordinaire, il en fait le représentant du clergé. Or, quelle est son attaque fondamentale ? Nous avons montré que tout tend à souligner le côté uniquement humain de Bournisien : l’accent mis sur sa description physique, le fait de le montrer la plupart du temps dans des activités purement matérielles et de décrire, de l’extérieur, les gestes sacerdotaux du prêtre ; enfin, les propos uniquement matérialistes de celui-ci, qui sont le signe d’une religion infantile, considérée comme une sorte de passeport pour une éventuelle vie future et fondée sur une série de dogmes qu’il s’agit de suivre à la lettre, sans les comprendre.

À travers Bournisien est donc dénoncée la fonction même du prêtre : les prêtres ne sont que des hommes, souvent bêtes, plus ou moins grossiers et qui, bien évidemment, ne sont chargés d’aucune mission divine, ne sont les représentants d’aucun dieu.

La critique de Flaubert est d’autant plus grave que, contrairement à Balzac et à Stendhal, il montre

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