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Commentaire composé, Nuit Rhénane de Guillaume Appolinaire, 1913

Par   •  30 Octobre 2018  •  1 964 Mots (8 Pages)  •  1 288 Vues

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», les « nattes repliées » aux « cheveux verts et longs », si longs qu’il faut un alexandrin entier pour les évoquer (« Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu’à leurs pieds »).

Ces deux représentations féminines illustrent parfaitement la tension entre :

♦ Irréel et réel;

♦ Imaginaire et réaliste;

♦ Mouvement violent (« tordre ») et immobilité tranquille (« regard immobile »);

♦ Danger (« femmes » rime avec « flamme ») et sécurité (« blondes » rime avec « ronde », danse enfantine).

C – La défaite du réel ?

Dans la deuxième strophe, le poète s’efforce de trouver un refuge dans la réalité (« Et mettez près de moi toutes les filles blondes »). Il reprend la parole (réapparition de la première personne, alors qu’il avait cédé son rôle de narrateur au batelier) et tente ainsi de reprendre le contrôle, comme le soulignent les impératifs (« chantez », « mettez »).

Il oppose au « râle-mourir » funeste du batelier le chant et la danse, pour ne plus entendre (« que je n’entende plus ») la chanson du batelier, de même qu’il a opposé aux « sept » sorcières ensorceleuses l’hyperbolique « toutes les filles » tranquilles de la réalité.

Mais ses recours contre le surnaturel qui a envahi le poème semblent rester vains : la chanson envoûtante du batelier continue à se faire entendre (« La voix chante toujours ») et les femmes sont devenues des « fées » qui « incantent l’été » et provoquent la fin du poème en raillant le poète (« dans un éclat de rire »).

Le poète est ainsi interrompu, le « verre » brisé pouvant aussi se lire comme le vers poétique (un vers brisé) ; on remarquera ainsi qu’il manque un vers au poème pour qu’il devienne un sonnet (ordinairement composé de 2 quatrains et 2 tercets).

Transition : L’univers des légendes, figuré par des femmes aux allures de sorcière, s’éloigne de la réalité et devient ainsi effrayant. Pourtant, ce poème n’est peut-être pas si négatif qu’il n’y paraît : il célèbre en creux le pouvoir de la poésie.

III – Le pouvoir de la poésie

A – Une incantation : la poésie comme magie

Une incantation est une formule magique qui vise à produire un sortilège. Dans « Nuit rhénane », Apollinaire utilise la poésie comme une incantation.

Tout d’abord, certains mots reviennent comme un refrain, ce qui renvoie au pouvoir incantatoire du poème. C’est le cas des mots « verre » (x2) et « verts » (x2), homonymes de « vers », mais aussi des termes qui renvoient au chant : « chanson », « chantez », « chant », « chante » mais aussi « incantent » pour parler des fées (en latin, chanter se dit cantare).

Par ailleurs, le poème est composé selon une structure circulaire qui rappelle la « ronde », qu’Apollinaire invoque pour contrer l’influence maléfique des « femmes » aux « cheveux verts » de la chanson et qui accentue l’effet de refrain. En effet, le poème démarre et termine avec « mon verre », revenant ainsi sur lui-même.

Plusieurs chants semblent se superposer ici : celui du poète, celui du batelier, celui des destinataires du poème (la deuxième personne du pluriel présente à travers les impératifs : « Chantez plus haut ») et celui des « fées ». Ce sont les voix du surnaturel qui semblent l’emporter, puisque le verre se brise sous l’effet de la chanson du batelier, qui « chante toujours à en râle-mourir » : le sortilège est accompli.

B – Sublimer le réel : l’ivresse inspiratrice

Si l’on pense à l’homonymie entre « verre » et « vers », le premier vers peut se lire comme la volonté du poète d’exprimer tout ce qu’il a à dire (Mon vers est plein), sous le coup d’un trop-plein d’alcool ou d’un trop-plein d’inspiration.

Ainsi, l’ivresse dans « Nuit rhénane » n’est pas seulement l’ivresse liée à l’alcool mais aussi une ivresse des mots.

Les sources de cette ivresse poétique sont à chercher davantage dans le surnaturel que dans le réaliste, car même si Apollinaire semble réclamer les « filles blondes / Au regard immobile », ce sont les fées qui « incantent » et la voix du batelier qui « chante ».

Le surnaturel enchante la réalité, à tel point que le poète doit créer des mots nouveaux pour la décrire (« trembleur », « râle-mourir », le verbe incanter).

Par ailleurs, cette ivresse poétique permet au poète d’aller plus loin et de sublimer ce qu’il voit : il passe dans un autre monde, qui est le reflet du premier (« où les vignes se mirent ») et où tombe « tout l’or des nuits ». La poésie lui permet d’accéder à cet au-delà.

C – Un appel à la poésie

En renouvelant le monde, en l’« incantant », Apollinaire célèbre dans ce poème le pouvoir de la création poétique, qui dévoile une réalité plus profonde.

Cet art n’est cependant pas réservé à une élite, comme en atteste le dialogue que le « je » du poète forme avec ses lecteurs.

Ainsi, il s’adresse à plusieurs reprises directement à son destinataire : « Ecoutez », « chantez », « mettez ».

Il semble enjoindre son lecteur (« Debout ») à ne pas rester passif et s’emparer lui-même de la parole poétique et magique, à participer à la construction du poème.

On a vu que le chant et la ronde de la deuxième strophe étaient une réaction aux pouvoirs maléfiques des sorcières des vers 3 et 4 ; Apollinaire appelle donc ici le lecteur à l’aide pour contrer le « râle-mourir » du batelier.

Conclusion

« Nuit rhénane » est un poème complexe, à plusieurs niveaux de lecture : délire d’une nuit d’ivresse, le poète libère une parole lyrique en rapportant la chanson du batelier ; plongée dans les légendes allemandes, c’est aussi la naissance d’un univers angoissant, en opposition à une réalité rassurante ; enfin, c’est une célébration de l’art poétique, qui sublime le réel et dévoile le monde.

Apollinaire joue sur les formes conventionnelles (alexandrins, strophes et rimes plutôt régulières) et des thématiques classiques (la souffrance de l’amour) pour créer un art poétique novateur, auquel le lecteur est invité à participer.

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