Le patrimoine public
Par Orhan • 19 Novembre 2017 • 53 419 Mots (214 Pages) • 539 Vues
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§1. Le débat doctrinal
Les premiers auteurs à s’intéresser à la question : PROUDHON publie dans les années 1830 un ouvrage intitulé Traité du domaine public et explique que les personnes publiques ne peuvent être propriétaires de leur domaine. Pour lui, cette conclusion découle du texte même du code civil. Il s’appuie sur les articles 544 et 537 du code civil. L’article 544 nous dit ce qu’est le droit de propriété, au sens civiliste, conception absolutiste du droit de propriété. Or l’un des principes qui prévaut quand on s’intéresse au domaine public, c’est la règle d’inaliénabilité qui prévaut. Pour confirmer son argumentation, PROUDHON s’appuie sur l’article 537 alinéa 2 : le domaine public est composé des seuls biens non susceptible d’appropriation privée : les biens affectés à l’usage de tous. Ce dont dispose l’administration sur les biens n’a rien à voir avec un droit de propriété, ça ressemble à de la police : droit de garde et de surintendance. PROUDHON nous dit : on ne retrouve aucun des attributs du droit de propriété : pas d’usus car l’usage est public, pas le fructus. Sa thèse va être relayée au début du 20ème, notamment par DUGUIT et Gaston Jèze. Ils expliquent, en s’appuyant sur la notion de service public, qu’il n’y a pas besoin d’utiliser des notions de droit privé et de se référer aux notions de droit privé, le droit public n’a rien à faire des concepts de droit privé, il suffit de se référer à la notion d’affectation : le bien est affecté au service public, il faut donc lui trouver un juge particulier : le JA.
La thèse de DUGUIT s’appuie sur l’idée qu’il n’y a pas de droits subjectifs. C’est cette vision qui va longtemps être la vision dominante.
Maurice HAURIOU n’était pas du même point de vue. Il a expliqué qu’il ne pouvait pas y avoir autre chose qu’un rapport de propriété entre l’administration et ces biens. Il distingue le domaine public du domaine privé. Chez les auteurs classiques, il a toujours été admis que l’administration était propriétaire de son domaine privé. Pour HAURIOU, sachant qu’un bien peut passer du domaine public au domaine privé. Si l’administration peut être propriétaire pour le domaine privé, on ne voit pas pourquoi pour le domaine public elle ne pourrait pas l’être. La doctrine contemporaine à la suite de cela va expliquer que finalement on retrouve tous les attributs du droit de propriété dans les rapports domaniaux. On retrouve l’usus car l’adm utilise ses biens pour ses activités ; le fructus. On retrouve aussi l’abusus. C’est parce qu’on retrouve l’abusus qu’on retrouve la règle de l’inaliénabilité.
Ces idées se retrouvent aujourd’hui dans la législation, dans la jurisprudence du CE et du CC°. Le CE admet qu’on puisse résilier de manière unilatérale une concession d’occupation du domaine public pour un motif financier notamment si l’administration a trouvé un occupant susceptible de payer une redevance plus élevée (CE, 1963, Seilier) : il y avait un motif d’intérêt général, motif strictement financier. Or en droit administratif, l’intérêt financier correspond assez rarement à l’intérêt général.
En 1988 et en 1994, le législateur est intervenu à deux reprises pour déroger au principe d’inaliénabilité et pour permettre aux collectivités locales et ensuite à l’Etat de conclure des baux emphytéotiques administratifs (possibilité d’attribuer sur le domaine public des droits réels).
La première jurisprudence qui établit la propriété de l’Etat sur son domaine public c’est un arrêt du CE,1923, Pioccioli à propos de gisements de charbon découverts et le CE attribut ces gisements à l’Etat au motif que les gisements étaient situés dans le sous sol maritime et donc domaine public maritime = propriété de l’Etat.
HAURIOU nous dit que c’est de la propriété mais de la propriété administrative. C’est dire que quand l’administration est propriétaire c’est d’une manière différente de celle dont peuvent être les particuliers. C’est une différence de degré, un propriété sur laquelle on applique des règles de droit administratif.
§2. La consécration constitutionnelle du droit des propriétés publiques
Conseil constitutionnel, 25 et 26 juin 1986, Privatisation des entreprises publiques : s’appuie sur l’article 17 de la DDHC. C’est une décision étonnante car le Conseil constitutionnel nous dit que l’article 17 de la DDHC protège non seulement la propriété des particuliers et « à titre égal » la propriété de l’Etat et des autres personnes publiques. C’est une idée totalement étrangère aux constituants de 1789. Ca n’empêche pas le CC° de l’affirmer. On a une évolution du droit de propriété, notamment tel que consacré en 1982, décision sur les « lois de nationalisation » : le CC° nous a dit une chose pas évidente à l’époque, le droit de propriété avait valeur C°, pas évident parce que tout au long du 20ème siècle, le législateur avait multiplié toutes les lois venant limiter le droit de propriété. C’est une propriété qui intègre une fonction sociale qui est visée : le droit de propriété est un moyen de vivre ensemble, mais ce n’est pas un absolu. Si ce droit de propriété a une fonction sociale évidente et du coup on peut tout à fait imaginer qu’il existe une propriété collective. Dans le cadre de la décision de 1986, le CC° va veiller à ce que le législateur ait prévu des mécanismes d’indemnisation qui permettent à l’Etat quand il privatise des entreprises publiques d’obtenir en compensation des sommes financières équivalentes à la valeur réelle des biens qu’il aliène. Le CC° vérifie que la commission de privatisation instituée par la loi soit d’abord soumis au contrôle du JA et qu’elle soit emmenée à appliquer des prix planchers en dessous desquels la vente n’est pas possible.
Il faut également citer deux décisions importantes du CC°.
CC°, 1994 : le législateur décide de faciliter l’activité économique sur le domaine public et en particulier sur les zones portuaires et aéroportuaires, le problème de ces zones c’est que comme elles sont affectées à des missions de service public, elles font parties du domaine public et sont donc inaliénables. Le législateur imagine donc un mécanisme permettant de créer des droits réels sur le domaine public. Ca permet à l’investisseur privé qui va occuper le domaine public d’aller voir un établissement bancaire et de construire une hypothèque,
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