Philosopher, c'est apprendre à mourir

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la mort sépare l’âme du corps pour subsister dans un monde ontologiquement supérieur et parfait.

Platon et les chrétiens (pour ne pas citer toutes les religions), souhaitent quitter ce monde pour un autre monde. Ils ne se préparent pas seulement à mourir, ils se préparent à renouveler une existence dans la félicité éternelle. Ainsi, nous remarquerons que selon la définition que l’on donne à la mort, si la vie n’est qu’un passage ou pas, c’est un bien ou un mal.

Seulement, il y a une sorte de négation de la vie et de la mort au profit d’une existence meilleure.

Mais si l’on ne pense pas qu’il y a l’éternité après la mort, si on ne pense pas que mourir est un bien : Est-ce possible d’apprendre à mourir quand on ne veut pas mourir ? La mort arrivera quoi qu’il en soit, alors comment faire ?

Nietzsche sera un grand détracteur de ces conceptions métaphysiques de la mort. Pour lui, les valeurs ne proviennent ni du ciel des Idées, ni d’un Dieu : « Dieu est mort ». Nietzsche reprochera à Socrate son nihilisme ; sa haine de la vie et son amour pour la mort. Il conçoit la philosophie de Platon comme une philosophie pour la mort, pour laquelle philosopher ne consiste plus à apprendre à mourir mais plutôt à désirer mourir.

« Socrate voulait mourir : – ce n’est pas Athènes, c’est lui-même qui s’est tendu la coupe de ciguë, il a forcé Athènes à la lui tendre… Socrate n’est pas un médecin, s’est-il murmuré à lui-même : la mort seule est médecin… Socrate, lui, n’a fait qu’être longtemps malade… »

Par conséquent, il n’existe pas de supériorité transcendantale ontologique inhérente à l’homme. C’est la vie elle-même qui crée les valeurs dont elle a besoin.

« Je veux dire leur fait à ceux qui méprisent le corps. […] Jusque dans votre folie et dans votre mépris, contempteurs du corps, vous servez votre Soi. Je vous le dis, c’est votre Soi qui veut mourir et se détourne de la vie. » Ainsi parlait Zarathoustra, Des contempteurs du corps

Ainsi, Dieu est mort, emportant avec lui toute possibilité d’une existence post mortem et de ce fait, le sens que cela procurait à la vie.

A présent sans au-delà, nous retrouvons l’angoisse de savoir que l’existence prendra fin un jour. Pour s’y préparer et ainsi apprendre à mourir, il pourrait être rassurant de tenter de rationnaliser la mort pour la réduire à sa banalité et comprendre que c’est un phénomène comme un autre, à la seule différence qu’il est le dernier. De cette façon, dans sa Lettre à Ménécée, Epicure nous affirme que

« La mort n’est rien pour nous car tant que nous existons, la mort n’est pas, et quand la mort est là nous ne sommes plus »

Seulement, la peur des hommes ne repose pas sur le fait de l’instant de la mort mais elle repose sur l’idée de mourir un jour. Quand un homme pense à sa mort, il fait l’expérience immédiate d’annihilation de ce qu’il est. Aussi, ce n’est pas l’idée de la mort qui est angoissante, comme l’a dit Epicure : nous ne la rencontrons pas, c’est l’expérience de penser à ne plus être de son vivant, c’est la vie qui se nie elle-même qui angoisse.

C’est la raison pour laquelle nous ne sommes pas satisfaits de la proposition d’Epicure : elle ne répond pas à la réelle raison de l’angoisse de l’homme : à savoir l’expérience de mourir soi-même, sur l’instant qu’induit la pensée de la mort, et non la mort elle-même.

Faut-il transpasser l’idée d’être soi pour ne plus être affecté par sa propre mort ? Apprendre à mourir serait comme s’oublier et se confondre au monde pour confronter sa propre mort à l’immortalité du monde. Ce sera l’idée que reprendra Schopenhauer aux stoïciens en expliquant qu’il ne faut pas être attristé par l’idée de sa propre mort puisqu’elle donnera le jour à autre chose et perpétuera ainsi la vie. Avant d’être, nous étions autre chose, après d’être nous serons autre chose.

Mais pendant que nous sommes nous-même ? Nous sommes quelque chose de propre avec son identité. Schopenhauer détruit la mort en regardant la vie d’en haut, en la regardant dans tout ce qu’elle est. Seulement, la vie est composée de tous les vivants et chacun a son identité propre en tant qu’il est individu. Il ne faut donc pas nier la mort mais la voir comme un renouvellement perpétuel de ceux qui la composent. Aussi, ceux qui la composent se rendent compte plus encore que leur vie est éphémère et que leur identité en tant qu’unité est vouée à disparaître. Or, voilà la raison de l’angoisse des hommes. S’oublier en tant qu’individu pour ne pas avoir peur de la mort, c’est aussi être déjà mort.

Dans cette vision de la mort, Schopenhauer réduit la définition de l’homme et par ce fait, change la définition de la mort, si tant est qu’elle en ait une. Ainsi, nous ne semblons pas concernés par sa proposition. C’est donc dans notre vie que nous devons apprendre à mourir. Puisque ces tentatives de redéfinition de la vie et de la mort semblent inutiles, parce que de fait, elles ne nous concernent plus : peut-être faut-il accepter notre angoisse et chercher un moyen de la réduire.

Constatons l’échec de la tentative à modifier l’interprétation de ce que nous sommes et l’échec de la métaphysique à nous apprendre à mourir. Partons alors de la vie et acceptons l’angoisse de sa condition nécessaire. Aussi, dans les enseignements de la philosophie pourrions-nous trouver une méthode pratique pour apprendre à mourir.

Nous trouverons un précepte pratique dans la philosophie de Montaigne.

« Ôtons-lui l’étrangeté, pratiquons-la, accoutumons-la, n’ayons rien si souvent dans la tête que la mort. A tous instants, représentons-là à notre imagination et en tous visages », Essais, livre 1, chap. 19

Ne pas mourir de son vivant implique que de son vivant on se prépare à la mort et que de fait, on conjure le refus de la voir : qu’on l’ait sous les yeux et qu’ainsi, elle nous traumatise moins que celui qui veut à tout prix penser à autre chose. Ce qui nous empêche de vivre en dehors de l’angoisse, c’est refouler à ce point la mort.

Se représenter la mort dans chacun de nos gestes pour s’y habituer, n’est-ce pas lui façonner le visage qu’on aimerait lui prêter ? En le faisant au quotidien, nous faisons que traduire son éventualité, que la vie est un risque et que nous sommes mortels.

Par sa méthode, Montaigne affirmait vouloir intensifier la vie. Mais

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