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Peut-on parvenir au bonheur?

Par   •  13 Avril 2018  •  4 013 Mots (17 Pages)  •  879 Vues

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De la même manière, les plaisirs des drogues ou des excès se paient de très nombreuses souffrances, même s'ils sont très intenses ; et de manière générale, la satisfaction de presque tous nos désirs semble avoir pour revers possible la souffrance : désirer un objet, l'aimer, c'est en effet presque toujours, voire toujours, s'exposer à le perdre, et donc à la souffrance du deuil ou à la peur de la perte.

C'est d'ailleurs ce qui conduisait Schopenhauer, dans Le monde comme volonté et comme représentation (cf txt 2), à voir dans le fait même de désirer un obstacle au bonheur. Selon lui, en effet, tout désir s'accompagne inévitablement de souffrance. Tout d'abord, tout désir est en effet, selon lui, manque : on ne désire que ce dont on est privé, que ce qui nous manque, et ce manque est inévitablement vécu comme souffrance. Tout désir est donc en lui-même déjà souffrance, pour Schopenhauer ! De plus, la satisfaction du désir ne met selon lui fin à cette souffrance que de manière très passagère, et cela pour plusieurs raisons.

On peut penser que la première est celle déjà évoquée par Freud : l'homme ne jouit que du contraste, et l'état de plaisir procuré par la satisfaction d'un désir ne saurait en aucun cas être durable. S'il dure, il ne peut déboucher que sur la lassitude et l'ennui.

De plus, comme l'écrit Schopenhauer, « pour un désir qui est satisfait, dix au moins sont contrariés » : bien souvent en effet nos désirs sont en contradiction les uns avec les autres. Ainsi, par exemple, je peux désirer manger du gâteau au chocolat mais aussi ; faire la fête mais aussi réussir mon bac ; m'acheter une belle voiture mais aussi économiser, etc., et je ne peux réaliser l'un de ces désirs sans en frustrer un autre, et donc me causer une souffrance.

Enfin, pour Schopenhauer, « les exigences du désir tendent à l'infini » : nous aurions selon lui toujours tendance à imaginer une satisfaction parfaite, et à idéaliser l'objet du désir, ce qui ne pourrait manquer de nous conduire à la déception, le plaisir ne s'avérant jamais durable et l'objet ne s'avérant jamais à la hauteur de ce que nous avons imaginé.

Par conséquent, pour Schopenhauer, le fait même de désirer est un obstacle qui nous empêchera forcément toujours de parvenir à un bonheur absolu, c'est-à-dire à un état de contentement, de satisfaction, de plaisir parfaitement durable et stable.

La seule solution pour parvenir au bonheur consistait donc, selon lui, à se débarrasser du désir. Il voyait dans la pratique de la contemplation des œuvres d'art, qu'il pensait purement désintéressée (quand je contemple une œuvre, ce n'est pas parce que je la désire ; je la laisse exister devant moi et sa simple existence me comble, sans que je veuille me l'approprier), ainsi que dans la pratique de la compassion, dans laquelle il voyait un forme d'oubli de soi et des préoccupations égocentriques du désir, des moyens de se préparer à cette éradication du désir sensée seule nous permettre de sortir du cycle sans fin désir/souffrance/frustration – satisfaction/lassitude/déception – renaissance du désir/souffrance/frustration. Une forme de bonheur absolu ne pouvait selon lui être atteinte que par le renoncement total au désir – il en voyait d'ailleurs le modèle dans le nirvana des bouddhistes.

Mais pour Freud, cet espoir de se débarrasser du désir est purement et simplement illusoire : celui qui cherche à atteindre cet état d'absence de désir n'est-il pas encore poussé par un désir ? Et le désir n'est-il pas tout simplement inscrit dans notre nature ? Le yogi aussi doit manger et boire à un moment ou à un autre. Il est illusoire de croire que l'on pourrait se libérer du désir.

De plus, Freud fait valoir également que le bonheur ainsi obtenu ne serait que celui du « repos », c'est-à-dire de l'absence de souffrance. Or, lorsque l'on cherche à vaincre la souffrance en s'attaquant non pas à ce qui, dans la réalité, frustre le désir, mais bien au désir lui-même, en cherchant à s'en débarrasser, « il s'ensuit », selon Freud, « une diminution indéniable des possibilités de jouissances » : on se prive en effet de toutes sortes d'occasions de joie, et en cherchant à maîtriser le désir, on perd en intensité du plaisir.

C'est ce qui arrive notamment à l'ermite (cf texte 1), qui, pour se débarrasser des souffrances liées au rapport à autrui, se prive de tous les plaisirs que peut procurer le rapport aux autres. C'est le cas également pour le stoïcien ou l'épicurien (on y reviendra en partie 2), qui, cherchant à maîtriser ses désirs, se prive selon Freud de « la joie de satisfaire un instinct resté sauvage, non domestiqué par le Moi », qui « est incomparablement plus intense que celle d'assouvir un instinct dompté ».

Les deux objectifs de minimisation de la souffrance et de maximisation du plaisir semblent donc bien incompatibles : à vouloir maximiser l'intensité et la variété des plaisirs, on s'expose à des risques de souffrance accrus ; à se focaliser sur l'évitement de la souffrance, on se prive de plaisirs nombreux et intenses.

Conclusion : Pour toutes ces raisons, il semble donc que nous ne puissions parvenir à un état de bonheur absolu, entendu comme un état de plaisir permanent et d'intensité maximale.

(Argument 2 : Facultatif)

Thèse : Les tenants de la théorie de l'évolution soutiennent également que nous ne saurions parvenir à un bonheur absolu.

Justification : Ainsi par exemple, Steven Pinker, professeur de psychologie à l'université de Harvard (dans Comment fonctionne l'esprit), ou encore Richard Dawkins, biologiste et éthologiste membre de la Royal Society (dans Le gène égoïste)[1], expliquent-ils, en relisant à la lumière de la génétique contemporaine l'idée formulée par Darwin dans La descendance de l'homme et la sélection sexuelle, que nos émotions, ayant été sélectionnées au cours de l'évolution naturelle, ne sont pas là pour nous rendre heureux, mais bien parce qu'elles ont permis à nos ancêtres qui s'en trouvaient dotés du fait de mutations génétiques aléatoires de diffuser différentiellement plus de copies de leurs gènes que leurs congénères.

La thèse de la théorie synthétique de l'évolution est en effet que les caractères anatomiques,

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