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LE FILS DU HANDICAPÉ : le handicap en héritage?

Par   •  23 Mai 2018  •  23 092 Mots (93 Pages)  •  586 Vues

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Dans ce court espace temps, se dégagent plusieurs éléments déterminant pour la démonstration à suivre. Les personnages d’abord : ce père invalide, son fils qui porte l’ensemble des affaires, ce couple improbable qui va cahin-caha dans un équilibre particulier et précaire. Il y a aussi ce groupe de jeunes qui quittent la plage et croisent le père et son fils qui au contraire, s’y rendent.

Ce tableau est symptomatique du vécu de ceux dont le physique handicapé ou bouleversé et parfois meurtri attire les regards gênés, autant qu’il exclut des normalités de la vie quotidienne. Mais il suggère également en filigrane la fierté d’une vie élevée au simple rang de « normale ou presque » de celui qui a domestiqué le handicap avec les siens. L’attitude du fils traduit une réaction mimétique, à la fois révolte, honte peut-être ou indifférence. Il épouse les mouvements de son père jusqu’à se fondre dans sa silhouette, devenir une deuxième ombre et disparaître, du moins le temps de ce périple à vue des regards inquisiteurs. A ce moment précis, il n’est plus ce gamin semblable aux autres mais un auxiliaire de vie, non contraint certes, ni vraiment volontaire d’ailleurs, mais juste naturellement disponible comme il l’est au quotidien chez lui, dans la bulle sécurisante et protectrice du foyer familial.

Handicap, mot d’origine anglaise signifiant littéralement main dans le chapeau, est défini comme : « désavantage quelconque; infirmité ou déficience congénitale ou acquise »[3]. L’esprit de cette description colle parfaitement à l’ambiance générale de nos siècles relativistes, englués dans le « tolérantisme et la moraline »[4]. Ces anti valeurs résonnent comme des invocations, au détriment des valeurs éthiques qui sont décision, empoisonnant la bonne conscience du fort, libérant le « à chacun son jouir », sur le champ de la conscience morale. Mais la réalité du handicap se mesure surtout à l’aune des contorsions verbales et législatives qui n’ont au fond, rien gommé de cette gêne contrite que le valide éprouve depuis le fond des temps face à la difformité d’un corps ou la non conformité d’un être. Ce « désavantage quelconque » rajoute à l’angoisse du devoir vivre, le défi du devoir être. Il conjugue la différence visible aux douleurs intérieures, au désespoir récurent, aux doutes permanent, aux regards de l’autre, bref, à la honte. Mais la déficience congénitale ou acquise peut céder face à la volonté. De batailles physiques en combats administratifs, le handicapé devient acteur dans un environnement social dompté, il prospère même en créateur de sa propre famille. La fierté vient alors naturellement, non pas l’arrogance ni le mépris, mais juste la dignité, comme une sage satisfaction. La société a alors beau jeu de récupérer cette « belle réussite » pour s’arroger les lauriers d’un protocole compassionnel érigés en témoin de notre belle humanité.

Mais quelle leçon morale ou éthique peut-on tirer d’un tel parcours ? Quel héritage nous laissent ces hommes et femmes brisés qui se relèvent pour une vie décente ? Au plus proche d’eux, dans le cercle intime de la famille, les enfants disposent peut-être de la réponse. Ce gamin qui suit et soutient silencieusement son père au détriment des jeux et relations propres à son âge, qui semble porter un fardeau dispose peut-être d’une force supplémentaire. La question revient en fait à celle du bonheur : une vie de handicap produit-elle des effets pervers jusqu’à « désavantager » une descendance ? Le handicap surmonté par le père qui travaille et s’offre des vacances en famille, bouleverse–t-il sa progéniture ? Celle-ci porte-t-elle face à son destin les frustrations, les combats, les victoires et les défaites de ce père « différent »? La réponse immédiate qui vient à l’esprit est que tout dépend de ce père, comme de tous les pères d’ailleurs. En outre, de l’enfance à l’indépendance, le fils jouera également son propre rôle, bien que marqué du handicap de son père en tant qu’individu dépendant puis libre et disposant d’un regard particulier sur cette béquille.

Comment alors, forger la clef d’une vie aux feux communs des mortels, sous le fer disharmonieux du handicap parental, entre les scories de la honte, de la souffrance et le souffle de la fierté, afin que le fils puisse ouvrir sans peine particulière la porte de son existence d’homme libre et éclairé ?

La démonstration qui suit, bien que normative et théorique, s’attache à proposer une vision des combats successifs que mènent le père en tant qu’individu handicapé, sa famille comme entité concernée et impliquée dans le handicap et enfin le fils dans sa vie propre. Tous sont liés peu ou prou à cette béquille dont il faut à la fois dépasser la réalité, gommer l’appréhension qu’elle suscite et revendiquer cette étonnante spécificité qui mènent au bonheur, ce bien suprême, malgré tout.

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Chapitre Premier

LE PARCOURS DU PERE OU LA BEQUILLE PLANTEE

Si, comme le prétend Arthur Schopenhauer : « La vie de l’homme oscille comme un pendule entre la douleur et l’ennui ; […] après avoir fait de l’enfer le séjour de tous les tourments et de toutes les souffrances, qu’est-il resté pour le ciel ? justement l’ennui »[5], la bornant à une interminable et tragique attente sans objet, il n’y a alors point de salut possible pour les damnés de la terre, les exclus du système, les laissés-pour-compte, les différents, les malades chroniques et autres handicapés. Ces derniers, bannis aux confins de la douleur et de l’ennui, ne peuvent se payer le luxe d’oublier leur corps pour s’accrocher au mirage du bonheur illusoire que peut conférer une bonne santé ou du moins, un corps conforme. Rivés à leurs souffrances, ils seraient donc contraints à l’errance ou à l’immobilité à l’instar du fléau de l’horloge maintenu à la verticale en signe de deuil, plutôt qu’au voyage sensé habiter chaque vie. Pour le handicapé physique, le parcours se limite souvent et malheureusement à l’assistance permanente. Mais a contrario, un caractère, un tempérament, une volonté peuvent, malgré le poids d’un corps ennemi, surmonter les peurs et les douleurs, imposer l’homme plutôt que le malade et gagner le ticket social d’une « presque normalité », atténuant ainsi les affres de la honte au profit d’une légitime mais raisonnable fierté, pour services rendus à sa propre dignité. Ainsi, il lui faudra planter

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