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Anthropologie de l'éducation

Par   •  21 Novembre 2018  •  7 820 Mots (32 Pages)  •  527 Vues

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Donc moi avec mes deux filles je traverse vers l’école publique, je traverse avec les femmes en boubou qui portent leurs bébés dans le dos, avec les mères célibataires en tongs et survêtements, avec les dames voilées.

Qu’est-ce qui se passe ?

A voir c’est vraiment frappant ?

Il y a un tri social et ethnique implacable. Les filles ça a pas l’air de leurs poser problèmes, mais moi je me sens un peu décalée, mon père est médecin, j’ai fait des études supérieures et je pars en vacances plusieurs fois dans l’année.

Et là j’ai l’impression que tous les gens comme moi ont disparu. Du coup je suis toujours très consciente de moi-même.

Je me sens même vaguement ridicule, avec mes boots à deux cents euros et mon sourire emprunté. Je fais semblant que tout va bien, que je n’ai pas du tout remarqué l’erreur de casting. Pourquoi je me sens si mal à l’aise, je ne viens pas non plus d’une autre planète ?

Pour qui je me prends ?

L’autre jour, je suis allée discuter de tout ça avec Fatiha, Fatiha c’est la nounou qui a longtemps gardé nos filles, elle vit dans les HLM en briques rouges en face de notre immeuble, avec ses deux grands ados.

Bonjour, ça va ?

« Ça va et vous ? »

Elle les a élevés seule. Elle en est très fière. Ils font de bonnes études.

« Déjà mon choix quand je suis arrivée dans le quartier, je ne connaissais pas, le temps de mettre Yasmine à l’école maternelle, je vois qu’il y avait trop de bagarres, et je me posais la question ou ils sont les parents médecins ? ou ils sont les parents pharmaciens ? ou ils sont les parents directeurs ? mais nous on est que des gens ouvriers, ou est partie l’autre société ?

Et comme j’ai travaillé à l’hôpital, j’ai demandé : mais tu plaisantes moi je ne mets pas mes enfants dans le public parce que il y a la mauvaise fréquentation, moi mes enfants je les met dans le privé. J’ai dit ah bon, il m’a dit oui tous les riches ont mis leurs enfants dans le privé. Nous le privé c’est pour les enfants qui ne travaillaient pas au Maroc à l’époque, je suis arrivée ici je vois les riches qui mettent les enfants dans le privé, que nous c’est les enfants qui sont rejetés du public parce qu’ils ne faisaient rien et ils se bagarraient tout ça, et moi je vois ici c’est l’inverse. Et ça m’a étonné, ça m’a ouvert les yeux, j’ai dit l’école publique en France, c’est pour les pauvres ».

Peut-être pas partout en France ? mais dans notre quartier c’est sûr.

Et alors ?

Est-ce que c’est vraiment ça le souci ?

Le danger ? ce n’est quand même pas contagieux ? surtout à cet âge-là.

Et alors toi t’es copine avec qui sur la photo ?

« Rebecca et Emma, un petit peu avec Kadi »

Lui il est comment ? il est sympa ? je ne le connais pas ? « Non, il est pas du tout sympa ».

Qu’est-ce qu’il fait ? « Il grogne comme ça il ne peut pas chuchoter ».

Il ne sait pas chuchoter ? « Il ne veut pas se clamer, il discute trop avec Amadou alors qu’il fait trop de bêtises Amadou ».

Lui il est sympa ? « Oui c’est le copain d’Elias mais parfois, ils ne sont pas sages parce qu’ils discutent trop quand on est sur les bancs et que la maitresse explique quelque chose ».

Est-ce que les enfants font attention à ces choses-là ? aux différences, aux origines,

Voilà, je ne passe pas mal de temps à cogiter comme ça.

« T’as vu Alice on dirait un prince ? ».

A un moment mes filles se sont mises à parler avec un accent africain pas possible, comme dans le sketch de Michel Loeb.

Ça les faisait beaucoup rire. Et moi j’étais catastrophée, comme il y a seulement deux ou trois blonds par classes, je pensais que par réaction elles se mettaient à faire d’immondes blagues racistes, en fait ce n’est pas ça.

C’est leurs copines noires qui imitent l’accent du bled de leurs mères pour rire, pour s’amuser, et mes filles font pareil, sans trop capter à mon avis ce que nous on y entend. Quand j’ai compris ça, ça m’a d’abord soulagé. Et puis après je me suis demandée, est-ce que c’est vraiment si amusant ? alors qu’à peu près tous les blonds du quartier ont déserté.

« je pense que vous avez vu » : d’ailleurs les mères d’élèves noires, elles aussi ça leurs posent problèmes, comme Emmanuela par exemple : « c’est les enfants de couleurs, c’est la majorité les enfants d’immigrés, c’est pas seulement les enfants de couleurs, les africains, les enfants, qui ont des parents africains, les arabes et les indous aussi , il y en a beaucoup, je ne les connais pas tous mais quand je vois sur la photo, il y en a pleins. Et c’est dommage. C’est des enfants qui sont tous nés ici, il devait mélanger tout le monde. Tout le monde dans la même casserole, comment les choses peuvent changer ? ».

Je me pose en permanence des questions, sur le niveau scolaire et culturel des gamins des tours, sur la violence, sur les amis qu’on va arriver à se faire ou pas ?

Et en même temps, j’ai honte de me les poser toutes ces questions.

Parce que j’ai toujours prôné la mixité sociale, le melting-pot, le vivre-ensemble, et là on se retrouve en plein dedans, et je comprends que ça ne va pas se passer totalement comme prévu.

Bruit de fond d’enfants qui chantent une comptine en classe : documentaire plus vivant, surtout qu’il s’agit d’un audio.

Bientôt Pauline va quitter la maternelle.

Elle va devoir apprendre à lire, à écrire, est-ce qu’on va tenir bon ?

Est-ce qu’on va rester fidèles à nos valeurs ?

Ou est-ce que nous aussi on va prendre la fuite ?

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