Les accords BEPS de L'OCDE face à l'utilisation de la propriété intellectuelle dans le cadre de l'optimisation fiscale
Par Junecooper • 22 Novembre 2018 • 7 184 Mots (29 Pages) • 471 Vues
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La variété des régimes de faveur adoptés par les États permet aux entreprises de mettre en place des stratégies d’optimisation fiscale. Elles profitent de la concurrence fiscale grandissante entre les États. Cependant, même si ce procédé est légal, certaines stratégies peuvent être qualifiées « d’agressives ». Les pertes de revenu fiscal sont désastreuses, elles sont estimées à près d’un milliard d’euros en six ans pour les autorités européennes.[6]
À la suite des différents scandales fiscaux et des pertes fiscales qui en découlent, l’OCDE et les États membres du G20 ont décidé de lutter contre l’optimisation fiscale des entreprises multinationales. Le projet BEPS (Érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices) a été lancé en juillet 2013 à l’initiative des pays du G20. L’OCDE a identifié quinze plans d’actions qui ont été dévoilés le 5 octobre à Istanbul. L’Action 5 du projet s’intitule « lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables, en prenant en compte la transparence et la substance ». Elle a pour objectif de réduire les différences dans l’impositions de certaines activités pouvant facilement être déplacées d’un pays à l’autre, notamment les activités liées aux actifs incorporels. L’OCDE avait déjà commencé des travaux dans le domaine fiscal dommageable dans son rapport en 1998 « Concurrence fiscale dommageable : un problème mondial ». Les régimes fiscaux dommageables ont été identifiés mais aucune mesure effective n’a été adoptée.
Ainsi, se pose la question de savoir comment l’action 5 des accords BEPS vise à lutter contre cette optimisation fiscale agressive à travers les droits de propriété intellectuelle ?
L’environnement établi par les différents États en vue d’une concurrence fiscale sans relâche ouvre la porte à l’optimisation(I). Cependant, on remarque une volonté de lutter ensemble et mettre en place un système fiscal équitable(II).
Partie 1 : Un environnement favorable pour l’optimisation fiscale
En raison de la concurrence fiscale que les Etats se livrent afin de favoriser leur développement économique, les entreprises bénéficient d’un environnement fiscal favorable lié à la pluralité de régimes applicables (Titre 2). Parallèlement, les Etats tentent malgré tout d’unifier les différents régimes afin de mettre en place un système fiscal plus juste (Titre 1). Cette dualité pousse, au final, les entreprises dans les bras de l’optimisation fiscale.
Titre 1 : Un effet pervers malgré un régime conventionnel uniforme
Les États ont le pouvoir exclusif d’organiser le prélèvement fiscal sur leur territoire. Autrement dit, chaque État conserve son entière souveraineté en matière fiscale. Il n’existe pas d’autorité supérieure capable de limiter le pouvoir d’imposition d’un État. Lors des échanges économiques internationaux cette souveraineté peut poser une difficulté. En effet, une opération internationale peut être soumise à deux souverainetés fiscales distinctes. Deux scenario se présentent alors. Soit, les États décident de n’imposer que les seuls éléments en lien avec leurs territoires et il n’y a pas de difficulté. Soit, ils décident d’imposer les contribuables sur l’ensemble de leurs revenus, même issus de l’étranger. Par conséquent, les impositions étant régies par les droits nationaux de chaque pays, cela peut mener à une double imposition.
Les doubles impositions internationales des revenus sont donc les conséquences de la souveraineté fiscale des États qui ont chacun entière liberté pour appliquer leur droit d’imposition. L’un parce qu’il se considère comme l’État du bénéficiaire du revenu et l’autre parce qu’il considère que le revenu en question trouve sa source sur son territoire[7].
Il faut distinguer deux types de double imposition, l’un juridique et l’autre économique. L’OCDE définit la double imposition juridique comme : « celle qui résulte du fait pour un même contribuable d’être imposé au titre d’un même revenu ou d’une même fortune par plus d’un État (commentaire OCDE, C (23) n°1) »[8]. De même, elle définit la double imposition économique : « comme la situation dans laquelle deux personnes différentes sont imposables au titre d’une même revenu ou d’une même fortune. Commentaires OCDE, C (23) n°2.»[9]
Cette double imposition induit des obstacles dont les entreprises demandent la suppression. En effet, la rentabilité financière et l’intérêt économique d’une opération internationale diminuent pour les entreprises. De plus, avec le développement du commerce international ce phénomène est difficile à supporter pour les sociétés. Elle est considérée comme un obstacle à l’activité économique[10] et peut également porter atteinte à l’idée de justice fiscale.
Face à cet obstacle, il n’y a pas de véritable « droit » pour supprimer les doubles impositions. Aucun texte ou traité n’oblige les États à s’entendre pour qu’un contribuable ne se trouve pas dans cette situation. Certaines initiatives ont été prises avec les directives concernant les dividendes, intérêts et redevances ainsi que la convention d’arbitrage. Cependant, on ne retrouve aucune mesure d’unification ni de principe au niveau de l’Union Européenne afin d’éliminer ce phénomène[11]. La jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne confirme cette situation[12], en précisant : « une double imposition, n’est pas, d’une manière générale, contraire au droit communautaire ».
Pour limiter la disparité entre les règles fiscales nationales, la plupart des États ont conclu des conventions fiscales. Ces dernières sont considérées comme des normes internationales. L’article 55[13] de la constitution définit la place des normes internationales au sein de la hiérarchie des normes. Elles sont subordonnées à la Constitution car elles ne peuvent produire d’effet juridique si elles lui sont contraire, mais elles ont cependant une valeur supérieure à la loi[14].
Les conventions fiscales ont pour objectif principal de lutter contre les doubles impositions[15] en prévoyant une répartition du droit d’imposer entre les États. Elles peuvent prévoir des règles différentes du partage du droit d’imposer.
Il existe plusieurs modèles de conventions. Le plus connu, est le « modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune » de l’OCDE[16] . Il s’agit d’une trame de convention qui va servir de base aux
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