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La qualification pénale des commissions par omission cas

Par   •  11 Mars 2018  •  8 529 Mots (35 Pages)  •  346 Vues

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Observations. — Peut-on retenir l'incrimination d'outrage contre l'automobiliste qui, n'ayant pas assujetti sa ceinture de sécurité, laisse les gendarmes verbaliser pour infraction à l'article R. 53-1 du Code de la route, alors qu'il est médicalement dispensé du port de la ceinture et pourrait en faire la preuve, mais qui s'abstient volontairement de le faire, de sorte que le procès-verbal dressé est sans objet et ne saurait avoir de suite utile ? Telle était la question soumise à la Chambre criminelle dans l'arrêt ci-dessus reproduit. De cette attitude du conducteur, on voit aisément la motivation psychologique, faite d'un mélange d'arrogance et de sourde hostilité à l'égard de l'uniforme ; on imagine volontiers avec quelle délectation acide notre homme aurait raconté à ses amis l'incident qui l'avait opposé à la maréchaussée et lui avait offert l'occasion de se jouer d'elle.

Mais l'affaire a tourné à sa confusion. Condamné pour outrage par la Cour d'appel de Limoges, l'intéressé n'a pas triomphé dans le pourvoi qu'il a porté devant la Cour de cassation. Dans sa décision de rejet, la haute juridiction relève, en une formule d'une étonnante brièveté, que « le comportement du prévenu impliquait la conscience, chez son auteur, qu'il portait atteinte à l'autorité des agents de la force publique ». Cette audacieuse décision satisfera sans doute les représentants de l'autorité et leurs supérieurs hiérarchiques ; mais elle inquiète le commentateur, car elle donne à l'incrimination d'outrage (C. pén., art. 222 à 224 et art. R. 40-2°) une extension inattendue et totalement inacceptable au regard des exigences de l'interprétation non-extensive des textes pénaux.

Des diverses composantes de l'incrimination, ne soulevaient difficulté ni la qualité des personnes visées (les gendarmes sont des « agents de la force publique »), ni le lien de l'outrage avec les fonctions exercées (les victimes agissaient dans le cadre de leur mission de police judiciaire), ni non plus le caractère direct de l'outrage (accompli en la présence même des gendarmes). C'est, en revanche, sur la notion même d'outrage que l'attention se porte.

I. — A proprement parler, les articles 222 à 224 du Code pénal ne définissent pas exactement la notion d'outrage ; ils se contentent d'en décrire les modes d'expression et la liste qui en est donnée est doublement limitative.

Limitative, elle l'est d'abord parce que, même entendus d'une façon compréhensive comme l'avait toujours fait la jurisprudence, les termes de cette liste ne visent nommément que certaines activités (les paroles, gestes, écrits, dessins, menaces) et laissent en dehors de leur champ d'application les faits autres que ceux qu'ils désignent. Ce premier aspect du caractère exhausif de l'énumération légale est si évident qu'il a fallu l'intervention de la loi du 13 mai 1863 pour punir l'outrage par écrits non rendus publics, ce que ne permettait pas le droit antérieur, et celle de la loi du 11 juin 1954 pour étendre l'incrimination à l'envoi d'objets quelconques à la personne outragée, agissement qu'on ne pouvait pas, jusqu'alors, réprimer.

Limitative, la liste l'est d'une seconde façon qui transparaît à travers les mots mêmes qui désignent les modes d'expression de l'outrage. Celui-ci doit prendre corps en des faits matériels, en des agissements positifs, visuellement ou auditivement perceptibles, et susceptibles d'être décrits objectivement : le prévenu injurie, il manifeste son agressivité par des mouvements, des gestes de toute sorte, ou bien il adopte une attitude menaçante, ou encore il envoie à celui qu'il vise une lettre, un dessin, un objet, qui traduisent palpablement son mépris pour l'autorité.

Sans doute la Chambre criminelle et, avec elle, les juridictions inférieures ont-elles donné une large portée aux modes légaux d'expression de l'outrage, et nombreuses sont les décisions qui illustreraient cette constatation. Par exemple ont été assimilés aux paroles tous les sons, articulés ou non, émis par la bouche humaine (cris, huées, sifflets), — aux gestes, les mimiques, les grimaces et toutes les attitudes extérieures témoignant de l'agressivité du prévenu ou de son mépris pour l'autorité (faire les « cornes » à un magistrat, cracher en direction d'un policier...), — aux écrits ou dessins, tout procédé graphique traduisant ostensiblement la pensée de son auteur. Mais dans cet effort d'assouplissement des termes des articles 222 et suivants, la jurisprudence, jusqu'à présent, ne dépassait pas les limites imposées par la loi : il fallait toujours que les comportements reprochés fussent constitués de faits positifs, matérialisant et extériorisant l'offense ou le mépris pour le représentant de l'autorité.

Or voilà que cette barrière vole en éclat dans le cadre de l'incrimination qui est ici en cause. Déjà un jugement du Tribunal correctionnel de Poitiers (18 janvier 1961 : J.C.P. 1961, II, 12243, note Fr. Lamand ; Rev. sc. crim. 1961, 802, observ. L. Hugueney) avait jugé que le fait, pour un témoin, de refuser de donner son identité à des gendarmes menant une enquête — attitude pourtant tout à fait négative — constituait un cas d'outrage. Objet de vives critiques de ses commentateurs, cette décision méconnaissait ouvertement l'exigence légale, qui fait de l'outrage un délit de commission et non une infraction d'inaction ou d'omission. Mais le pas est franchi, cette fois, par la Chambre criminelle dans l'arrêt commenté : la simple omission d'avertir que l'on est dispensé du port de la ceinture de sécurité constituerait ainsi une attitude outrageante relevant de l'article 224 du Code pénal. La Chambre criminelle retient donc comme suffisant un comportement passif, « nu » en quelque sorte.

On peut alors s'inquiéter : la haute juridiction ne se situe-t-elle pas au-delà de l'interprétation déclarative (ou téléologique) et au coeur même de l'interprétation analogique, celle que la doctrine appelle l'analogie légale (analogia legis), dans laquelle l'interprète étend une règle légale existante à un cas voisin non expressément prévu par elle, ici en assimilant à une attitude matérielle positive un comportement passif, au prétexte que, lui aussi, il traduirait la volonté d'outrager l'autorité ? Parvenu

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