Comparaison des deux grands modèles historiques de contrôle de constitutionnalité des lois.
Par Matt • 23 Mai 2018 • 3 316 Mots (14 Pages) • 661 Vues
...
D’autre part, au plan des effets du contrôle, la décision de l’organe spécialisé européen a des effets absolus, à savoir que la disposition inconstitutionnelle disparaît de l’ordonnancement juridique. En revanche, la décision d’un juge américain ne vaut, en principe, qu’entre les parties ; elle n’a qu’un effet relatif.
Ces oppositions paraissent très prononcées. Pourtant il n’en n’est rien, à tel point que cette distinction fondatrice entre les modèles doit être sérieusement nuancée.
B. Une distinction à nuancer
Cette distinction est ébranlée par les facteurs correctifs mis en place dans chaque modèle et par le rapprochement qui en résulte entre ces modèles.
Les correctifs, ce sont des techniques mises en place pour palier les défauts vus plus haut. S’agissant du modèle européen, afin de garantir l’effectivité du respect de la Constitution tout en préservant une unicité d’interprétation, a été instituée l’exception d’inconstitutionnalité en Allemagne, en Italie, en Espagne ou en France, États dans lesquels il cohabite avec le recours a priori réservé aux autorités politiques. L’exception d’inconstitutionnalité aboutit devant la Cour constitutionnelle, spécifiquement chargée de déclarer une loi déjà en vigueur inconstitutionnelle.
En France, ce mécanisme, appelé question prioritaire de constitutionnalité, ne se déclenche qu’après filtrage des juges de première instance le cas échéant, et du Conseil d’État ou de la Cour de cassation dans tous les cas. Il n’existe guère de saisine directe du Conseil constitutionnel en la matière, à la différence du recours en amparo en Espagne par exemple.
Symétriquement aux Etats-Unis, pour garantir la stabilité du droit, la technique du précédent s’applique, qui oblige les juridictions à ne s’écarter de solutions antérieures que pour des motifs impérieux d’intérêt général. ON voit donc un rapprochement des deux modèles et le fait que la distinction s’estompe par ses techniques.
Mais, plus que des correctifs, on assiste à un rapprochement des modèles. Le modèle européen, par exemple, n’est pas théoriquement si tranché qu’il a été présenté. Ainsi, ce qui est invariable dans ce modèle, c’est la spécialisation de la Cour constitutionnelle chargée du contrôle. Mais, ce modèle laisse libre court aux États pour décider du moment du contrôle, des caractéristiques de celui-ci et de son intensité. Et de fait, la justice constitutionnelle se caractérise d’une part par la détermination de l’organe qui en est chargé, mais d’autre part par les modalités de ce contrôle. Or, il ressort de l’examen de ces modalités des variantes, parfois assez importantes, que nous nous devons d’illustrer.
Nous verrons que ces variations dans le contrôle font qu’il n’existe pas, à cet égard, de modèle européen unique. Chaque pays s'est créé un système dont les traits caractéristiques diffèrent. Tandis que certains pays européens disposent d'un système proche du « judicial review », d'autres peuvent être classé dans la même catégorie que le système français avec un contrôle historiquement abstrait et préventif. Cette variation ne nous empêche pas pour autant d'ignorer l'importante caractéristique commune des modèles existant en Europe qui réside dans la présence d'un recours direct en inconstitutionnalité qu'on peut retrouver sous diverses variantes dans presque tous ces États. Dans les États germanique comme en Belgique ou au Portugal, le recours direct peut être également dirigés contre les actes réglementaires.
Le « modèle » britannique de « justice constitutionnelle » apparaît comme relativement inclassable. Le contrôle exercé l'est a posteriori par la voie de l'exception, mais le pouvoir de constater une incompatibilité entre la loi et les principes tirés de la CEDH incombe principalement aux seules juridictions supérieures. En tout état de cause, le juge britannique ne dispose pas de la prérogative minimale généralement reconnue au juge de l'exception d'inconstitutionnalité, à savoir le pouvoir de prononcer l'inapplicabilité de la loi, sauf quand le droit de l’Union européenne est en cause sous réserve que le Royaume-Uni se maintienne dans l’Union. Dès lors, dans la mesure où le pouvoir de sanction, c'est-à-dire d'invalidation, de la loi « inconstitutionnelle » ressortit de la compétence du Gouvernement et du Parlement, il n'est pas incongru d'évoquer le système de l'auto-contrôle en Grande-Bretagne, malgré l’existence d’une Cour suprême depuis 2009.
Par ailleurs, beaucoup de pays européens ayant il y a un siècle opté pour le modèle européen, sont revenus sur leur position. En effet, le modèle de contrôle de constitutionnalité qu'ils ont choisi pourrait être « euro- américain » du fait du mélange des critères du modèle européen et de ceux du modèle américain. C'est le cas des pays tels que l'Italie, l'Espagne, l’Allemagne ou la France, comme il a été dit plus haut. Cette création d’un modèle spécifique, sui generis, est particulièrement remarquée en France où l’instauration de l’exception d’inconstitutionnalité permet certes à un juge d’écarter une loi inapplicable et a posteriori, mais après une question préjudicielle en inconstitutionnalité soumise à l’une des cours régulatrices et transmise par cette cour au Conseil constitutionnel. Ainsi, l’unicité de l’interprétation constitutionnelle est préservée en dernier ressort en France ce qui emprunte au modèle européen de spécialisation du juge constitutionnel, mais le contrôle devient concret et a posteriori, ce qui emprunte au modèle américain. Par exemple encore, dans la Constitution italienne de 1947, l'article 134 dispose que « la Cour Constitutionnelle juge… », ce qui prouve qu'il s'agit d'un organe unique qui exerce le contrôle, cependant l'article 136 démontre que celui-ci s'exerce a posteriori sur la base du modèle américain.
Le phénomène est identique en Espagne où seul le tribunal constitutionnel exerce le contrôle de constitutionnalité selon l'article 159 de la Constitution espagnole de 1978. Mais ce contrôle est exercé a posteriori selon l'article 161-1 a). Le critère le plus important pour justifier ce « nouveau » modèle est la notion abstraite ou concrète.
Dans ces pays dont l'Allemagne fait aussi partie, le contrôle concret se développe généralement plus vite que le contrôle abstrait, car tout plaideur
...