Commentaire d’arrêt : Cass. Civ. 1ère, 25 fév. 1997.
Par Christopher • 10 Novembre 2018 • 1 817 Mots (8 Pages) • 635 Vues
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II Une décision largement débattue
A. Différence d’interprétations de l’article 1315 (ancien) du Code Civil
Cette décision consiste de fait en l’interprétation de l’ancien article 1315 du Code Civil (actuel 1353), traduction d’une règle traditionnelle, selon laquelle la charge de la preuve incombe au demandeur : « actori incumbit probatio ; reus in excipiendo fit actor ». Bien qu’on puisse interpréter ces adages et l’article 1315 comme l’expression du bon sens, ce précepte pose de délicats problèmes de compréhension et de mise en oeuvre. À l’origine, cette directive a pour but de résoudre le problème de la charge de la preuve en se basant sur une lecture chronologique du contentieux : le demandeur exprime sa prétention et fournit une preuve, puis le défendeur conteste cette prétention et doit donc apporter à son tour une preuve. Et ainsi de suite, la charge de la preuve s’échange entre les parties jusqu’à qu’un des protagonistes soit dans l’incapacité de prouver. Cette partie perdra la procès.
Mais cette lecture est bien éloignée de la réalité, dans laquelle le procès suit un déroulement moins ordonné et chaque preuve est combattue par l’opposition. La doctrine moderne s’accorde sur une autre signification de la « charge de la preuve ». L’article 1315 a pour but, en réalité, de déterminer à quel partie est attribué le risque de la preuve. (R. Legeais, Les règles de preuve en droit civil, 1955 ; J. Devèze, Contribution à l’étude de la charge de la preuve en matière civile, Thèse Toulouse, 1980). Dans une affaire où l’incertitude subsiste, le juge se voit obligé par la loi de trancher le litige (art. 5 Constitution), il condamne donc celui dont la preuve n’a pas convaincu. Selon la formule de la Cour de cassation, « l'incertitude et le doute subsistant à la suite de la production d'une preuve doivent nécessairement être retenus au détriment de celui qui avait la charge de la preuve » (Cass. Soc. 31 janv. 1962).
Le problème reste entier, puisqu’il s’agit encore de déterminer à qui est attribué le risque de la preuve. L’article 9 du Nouveau Code de Procédure Civil dispose que « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. ». Cela signifie que le risque de la preuve ne dépend pas de l’initiative de la procédure mais de la formulation des prétentions. Par conséquent, il faut distinguer ici deux cas pouvant paraitre similaires mais foncièrement différents : la demande d’exécution d’une obligation et l’action en responsabilité pour inexécution d’une obligation. Dans cette affaire le demandeur ne demande pas à son médecin de l’informer — ce qui serait inutile— mais l’accuse de ne pas avoir exécuter son obligation d’informer. On se situe donc dans le second cas et c’est le demandeur qui émet une prétention, c’est donc à lui de prouver que le médecin ne l’a pas informé. Ainsi en suivant ce raisonnement, la décision de la haute juridiction peut être considéré contraire à l’ « orthodoxie juridique »mentionnée par G. Viney. On observe qu’il est aisé d’habiller une décision de rigueur juridique, mais que la jurisprudence de la Cour de Cassation semble plutôt répondre à des considérations d’opportunités.
B. Considérations d’opportunités débattues
Par considérations d’opportunités, il faut comprendre pragmatisme. En effet la Cour a pris en compte dans sa décision plusieurs éléments qu’elle jugeait opportuns. La première considération a trait précisément à la preuve de la victime. Il est extrêmement difficile pour elle d’apporter une preuve négative, c’est à dire la preuve d’une absence ou d’une inexécution (Larguier, La preuve d’un fait négatif, 1953). Dans ce cas précis, il est quasiment impossible pour le demandeur de prouver que son docteur ne l’a pas informé 7 ans auparavant.
La seconde considération est celle de la nécessité d’une plus grande rigueur dans la mise en oeuvre de l’obligation d’information, de manière à encourager et garantir la transparence. Par extension ce progrès permet aussi la réduction d’actes médicaux superflu et dangereux —comme la chirurgie esthétique. Cette considération peut se doubler d’une réflexion à caractère politique. Le procureur général de la République M. Burgelin écrit à propos des motivations de cette décision : « Il est bon également de tenir compte d’une évolution générale de notre société qui tend à abolir les distances traditionnelles entre la supériorité de ceux qui savent et l’infériorité des ignorants. »
On remarque tout de même que malgré ces considérations, cette décision reste largement contestée par le corps médical. On compte deux raisons principales à ces contestations : la première est le refus d’une trop grande immiscion du légal dans le domaine médical. La seconde est la crainte de décourager les patients de subir des opérations nécessaires en faisant une liste de risques exceptionnels.
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