Commentaire d'arrêt Civ. 3e, 7 juillet 2015
Par Ninoka • 21 Novembre 2018 • 2 093 Mots (9 Pages) • 563 Vues
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Cependant, comme le vendeur s’est réservé la jouissance de la chose sa vie durant, il faudra en tenir compte pour apprécier le sérieux du prix, car la valeur transférée s’en trouve diminuée. La valeur de l’usufruit doit donc venir en déduction du montant des revenus de l’immeuble.
En cela, la Cour de cassation a estimé que la Cour d’appel avait correctement exclut la présence d’un prix dérisoire ou insuffisant.
Cependant, l’on peut se poser la question de savoir si à l’égard d’un contrat de vente en viager, le juge pouvait réellement exclure la présence d’un prix insuffisant, voire dérisoire.
- Le contrat de vente moyennant une rente viagère
La rente viagère représente une modalité d’exécution d’une créance. Elle peut être stipulée dans une vente comme mode de paiement d’un prix fixé en capital, mais converti en rente viagère (B). Elle donne alors à cette vente un caractère aléatoire (B) en ce que le montant définitif du prix payé dépend de la durée de vie du crédirentier.
- Le prix dans un contrat de vente moyennant une rente viagère
Le contrat de vente est le contrat par lequel la propriété d’une chose est transférée à un acquéreur, en contrepartie d’une somme d’argent. Pour qu’un contrat soit une vente, il doit comporter un consentement, un prix payable au vendeur, une chose dont la propriété est transférée à l’acquéreur.
Le contrat de rente viagère (art. 1968 à 1983), est un contrat aléatoire. La rente est une créance ayant pour objet des prestations périodiques en argent qui s’appellent des arrérages. C’est une obligation qui s’inscrit dans le temps, une obligation successive. Le débiteur s’appelle débirentier, le créancier s’appelle le crédirentier. La rente est viagère lorsque la durée est restreinte à la vie du créancier. Lorsque sa durée est fixée par un terme certain, elle n’est jamais viagère.
Généralement, la rente est constituée sur la tête de celui qui en jouit, le crédirentier, c’est-à-dire qu’elle doit lui être payée tant qu’il vivra et s’éteindra à sa mort. Mais elle peut aussi être constituée sur la tête d’un tiers, notamment dans le cas le plus courant où la rente est établie sur la tête de plusieurs personnes, généralement deux conjoints. La rente viagère s’éteint alors au décès du survivant, on parle de clause réversible.
Le montant de la rente est fixé par les parties. Le principe est la liberté, affirmée en termes vigoureux à l’article 1976 du Code civil « la rente viagère peut être constituée au taux qu’il plaît aux parties contractantes de fixer ». La seule limite est un plancher. En effet, les arrérages de la rente ne doivent pas, à peine de nullité du contrat, être inférieurs aux revenus de la chose, parce que le contrat n’aurait plus de caractère aléatoire.
En l’espèce, les parties ont bien convenu d’un prix en contrepartie du transfert de la nue-propriété. Ce prix s’élève à 60 000€ converti en rente viagère annuelle de 4 971, 36 €. Ce prix monétaire est assorti d’une obligation en nature, « l’obligation de visiter régulièrement le vendeur et de s’assurer de son état de santé, en ayant pour lui les meilleurs soins et de bons égards sa vie durant ». Les derniers termes de cette expression considèrent que cette rente doit être versée jusqu’à la fin de la vie du vendeur. Puisqu’ils sont conjoints, cela va se faire jusqu’au décès du conjoint survivant.
- Le caractère aléatoire de la vente viagère
Ce mode de paiement du prix de vente sous la forme d’un versement d’une rente jusqu’au décès du vendeur peut conduire à un déséquilibre entre les prestations réciproques des parties. Ce déséquilibre éventuel est le propre d’un contrat aléatoire.
Le contrat est juridiquement équilibré lorsque les contractants sont à égalité devant l’incertitude. Le vendeur et l’acheteur sont alors face à la même chance de gain et au même risque de perte. Le caractère aléatoire du contrat suppose une telle égalité. En effet, il faut que la survie du crédirentier soit incertaine et que le risque d’une perte économique soit partagé. Cet aléa s’apprécie au jour de la cession.
Les ventes aléatoires ne sont pas rescindables pour cause de lésion, car « l’aléa chasse la lésion ». Ainsi, celui qui joue ne peut se plaindre de perdre. En outre, une prestation aléatoire ne peut être évaluée. Afin que l’aléa soit soustrait à la rescision pour lésion, il faut donc qu’une prestation soit complétement dépendante du hasard et que la perte subie par un des contractants du fait du hasard se traduise par un gain de l’autre.
Il faut que la vente soit véritablement aléatoire. Ce n’est pas le cas lorsque par exemple l’acheteur ne court aucun risque en raison de l’âge et de l’état de santé du vendeur. De même, sans aucune conversion, lorsque les arrérages de la rente sont inférieurs aux revenus de l’immeuble, ils prononcent la rescision pour lésion ou la nullité pour absence de prix.
Si le débirentier ne court aucun aléa, la vente est nulle, faute de contenu. Ainsi, c’est le cas lorsque les arrérages de la rente sont inférieurs aux revenus de la chose. Il en est de même si la rente est constituée sur la tête d’une personne déjà morte au jour du contrat (art. 1974), ou qui meurt dans les vingt jours d’une maladie dont elle était atteinte au jour du contrat (art. 1975). La connaissance qu’ont eu les parties de la mort et de la maladie entraîne la nullité absolue du contrat.
En l’espèce, le contrat de vente moyennant rente viagère n’a pas été annulé en ce que son prix a été considéré comme étant réel et sérieux. De ce fait, l’on constate qu’au-delà d’un prix réel et sérieux, le caractère aléatoire du contrat était présent. En effet, puisque l’aléa s’apprécie au jour de la cession, il fallait que le caractère aléatoire, élément déterminant du contrat de vente en viager, soit présent au moment de la conclusion du contrat. Les juridictions estiment que dans ce contrat de vente moyennant rente viagère, il y avait bien la présence d’un caractère aléatoire au moment de la conclusion du contrat en ce que le versement des rentes viagères doit se faire jusqu’au décès des deux époux vendeurs. Ainsi, puisqu’on était en présence d’un aléa, même si le prix en contrepartie du transfert de la nue-propriété était potentiellement inférieur
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