CE 11 janvier 2014, Dieudonné
Par Ramy • 1 Juin 2018 • 2 574 Mots (11 Pages) • 445 Vues
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Ce principe de proportionnalité apparait donc comme inébranlable puisqu’il s’inscrit à la fois dans le temps et dans l’espace. En ce qui concerne la légalité des mesures de police on retrouve ce principe de proportionnalité : une mesure de police n’est légale que si elle est nécessaire et proportionnée au risque du trouble à l’ordre public. Ici donc, le juge administratif s’efforce de confirmer la légalité de la mesure de police au regard de grands principes, très largement reconnus. En effet les juges du Palais Royal énoncent dans un huitième considérant que les juges de première instance avaient pu estimer à bon droit que la tenue du spectacle pouvait constituer une menace de trouble à l’ordre public et qu’en conséquent la mesure privative de liberté était proportionnée et nécessaire.
Si le Conseil d’Etat commence par préciser le caractère proportionné et nécessaire de la mesure cela ne suffit pas à assurer la légalité de la mesure. En effet, la motivation de la mesure était mise en doute par l’appelant.
B. Une mesure grave mais légale
L’article L. 521-2 du code de justice administrative est la règle de droit sur laquelle s’appuie le requérant pour souligner le caractère illégal de la mesure privative dont il fait l’objet. L’usage de cet article est subordonné au caractère grave et manifeste de l’illégalité à l’origine d’une atteinte à une liberté fondamentale. En réalité la gravité de la mesure est toujours caractérisée dans le cas de mesures privatives de liberté. En effet, l’atteinte à une liberté fondamentale dans une démocratie sera toujours vue comme une mesure grave. En ce qui concerne l’illégalité, dans le cas d’espèce, l’arrêté devait être précédé d’une procédure contradictoire, et devait également être suffisamment motivée. L’un des moyens de Dieudonné consiste donc à expliquer que l’arrêté est illégal car il n’aurait pas été précédé d’une procédure contradictoire. Dans le considérant sept, le Conseil d’Etat coupe court à cette argumentation en soulignant que les pièces du dossier contredisent le moyen du requérant. Ainsi l’arrêté en lui-même ne présente pas de caractère manifestement illégal.
Dans un deuxième temps, le requérant soulève un autre moyen remettant en cause la légalité de l’arrêt : ce dernier ne constaterait pas l’impossibilité d’empêcher les éventuels troubles à l’ordre public par la mise en place d’un dispositif de police. La réponse du Conseil d’Etat se trouve dans le considérant neuf, elle est rapide et sans ambiguïté : « la mise en place de forces de police ne peut suffire à prévenir des atteintes à l’ordre public de la nature de celles, en l’espèce, qui consistent à provoquer à la haine et la discrimination raciales. ». On retrouve ici en quelques sortes la nécessité de la mesure, telle qu’énoncée dans la partie précédente : étant donné que la mise en place de force de police ne suffit pas à prévenir le trouble à l’ordre public, la mesure privative de liberté est donc nécessaire. Le juge administratif souligne également dans le même considérant que « la réalité d’un tel risque est suffisamment établie ». On retrouve donc un autre grand principe permettant de confirmer la légalité de la mesure : pour être légale, la mesure doit être circonstanciée.
En l’espèce, le risque est avéré selon les juges et ce risque ne peut être prévenu autrement que par une mesure privative de liberté. L’arrêté est donc bien circonstancié, et il ne souffre d’aucun défaut de légalité. Au final on se retrouve bien dans le cas d’une mesure parfaitement valable d’un point de vue formel. Il reste maintenant à étudier les critères qui ont fondé la décision du juge des référés.
II. La menace de trouble à l’ordre public : le critère unique de la privation des libertés fondamentales
Comme toute mesure de police administrative, la justification de celle étudiée ici se fonde sur la menace de trouble à l’ordre publique. Le juge administratif confirme ici la présence du concept de dignité humaine dans l’ordre public (A). Cette interdiction de spectacle est toutefois une mesure circonstancielle (B).
A. Un ordre public enrichi du concept de dignité humaine
Dans cette décision, il est fait mention de notions telles que l’atteinte à la dignité humaine, la provocation à la haine. Ces notions font-elles partie de l’ordre public ? La définition traditionnelle de l’ordre public était constitué de la trilogie : « sécurité, salubrité et tranquillité ». Il s’agit d’une définition strictement matérielle. Cette trilogie se retrouve à l’article L2212-2 du code général des collectivités territoriales et s’étend à toute police administrative. Cette définition a subit des évolutions. Outre les évolutions correspondant à l’évolution de la société mais reprenant les mêmes termes, on a pu observer des évolutions plus étonnantes de cette notion. Ainsi on a pu se demander s’il existait un ordre public moral qui serait édicté par le juge administratif. Dans un premier temps le Conseil d’Etat a rendu des arrêts allant dans ce sens. En 1959 dans un arrêt de Section intitulé « société des films Lutetia », le Conseil d’Etat sanctionne un film qui va à l’encontre des bonnes mœurs en s’appuyant sur des particularités locales. En 1995 le célèbre arrêt « Morsang sur Orge », interdit la pratique du lancée de nains sur la base du respect de la dignité humaine. Dans cet arrêt le Conseil d’Etat considère donc que le respect de la dignité humaine est une composante de l’ordre public à part entière.
Malgré les critiques essuyées, le Conseil d’Etat persiste et en 2007 il rend un arrêt sur l’affaire « de la soupe au cochon ». La critique consistait à dire que le juge tentait de tracer les contours d’une moralité publique, de ce qui était tolérable dans une République ou de ce qui ne l’était pas. Or cela pose un problème car le juge n’étant pas élu, il n’a pas la légitimité pour édicter un ordre moral. La morale est un principe étranger à l’ordre public car elle relève de la conscience et les autorités de police ne sauraient imposer un ordre moral. Cependant, la jurisprudence du Conseil d’Etat est constante et la dignité humaine fait donc parti de l’ordre public. En réalité le concept de respect de la dignité humaine est largement admis, il est considéré par le Conseil constitutionnel comme un principe à valeur constitutionnelle depuis 1994. Il est également
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