Les domaines de la Loi et du règlement sous la 5e République
Par Plum05 • 13 Août 2018 • 4 366 Mots (18 Pages) • 582 Vues
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I. Deux domaines pour décentraliser et rationnaliser le pouvoir normatif
En assignant un domaine à la loi, par opposition au règlement, le constituant de 1958 a entendu encadrer la compétence du Représentant, qui ne peut plus ce qu’il veut (A). Plus encore, ce domaine positif permet le contrôle du législateur. (B)
A. L’assignation constitutionnalisée d’un domaine à la loi : les limites tangibles de la souveraineté nationale
Avant 1958, l’exécutif est constitutionnellement exclu de la sphère gouvernante, ou presque. En effet, le pouvoir normatif était bel et bien partagé mais seulement de manière factuelle. Les règlements n’étaient alors que des précisions de la législation. Or, lorsque la Révolution Industrielle est née au XIXe siècle, le culte légicentriste s’est confronté à ses propres limites : l’émancipation du juge par la jurisprudence est devenue d’une nécessité urgente (V. Cass. civ. « Teffaine », 16 juin 1896) pour adapter la législation aux cas d’espèce, et le besoin de codifier de nouvelles règles fut tel que le Législateur fut contraint de partager son pouvoir normatif avec son exécutant à travers les loi-cadre/les décret-loi. Seulement, la délégation est encore une mesure contraconstitutionnem (V. Article 13 de la Constitution de 1946) qui, dans le contexte de l’élaboration de la 5e République (V. la théorie de l’insoutenable légalité et de l’incontestable légalité de M. Duhamel), interrogera même la légalité de notre actuelle Constitution. In fine, le Parlement français, dans sa souveraineté inconditionnée connaît le même problème que le dernier Empereur de la Rome occidentale : la codification du progrès technique/social demande une marge d’autonomie du juge et de l’exécutif inconnue du souverainisme absolu, qu’il soit celui d’un Empereur, d’un Monarque, ou d’un organe populaire tel que le Parlement.
À partir de 1958, le Constituant qui entend remédier à l’ineffectivité résultant de la centralisation du pouvoir, toujours concurrencé par la nécessité extérieure et par la contingence partisane interne au Parlement, constitutionnalise cette marge d’autonomie gouvernementale de l’exécutant qui n’en est plus tout à fait un. L’Article 34 définit donc un domaine constitutionnel pour la loi, de sorte que sa lecture a contrario soit la définition négative du domaine règlementaire, limitant alors la compétence du législateur. L’Article 37 précise ainsi que « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire ». Le Gouvernement, plus précisément le Premier ministre, peut désormais édicter des normes générales et impersonnelles en marge du Parlement ; son gain d’autonomie favorise une efficacité sans précédent, il n’est plus besoin d’une majorité pour gouverner, la collaboration des deux organes est inévitable à contrôler le pouvoir exclusif de l’autre.
Plus encore, si le Parlement ne détient plus tout le pouvoir normatif pour gouverner, et en cela ne peut plus espérer gouverner sans le Gouvernement en le renversant souvent, il peut cependant laisser le Gouvernement légiférer pour lui. L’Article 38 introduit dans la Constitution la délégation du pouvoir législatif du Parlement vers le Gouvernement pour préserver d’une nouvelle crise (structurelle ou institutionnelle) qui obligerait le Parlement à violer la Constitution en étant dans l’impossibilité de légiférer seul (en absence de majorité ou en présence de changements sociaux qui demandent une réforme profonde de la législation nationale). Cette procédure eut prouvé son utilité à diverses reprises face à l’urgence humaine, notamment concernant l’accueil des rapatriés d’Algérie en 1962. Et de facto, non seulement est rendu possible le transfert temporel du pouvoir législatif vers le Gouvernement, mais encore, par contraste, le travail parlementaire fait miroiter sa qualité et rappelle quelles sont les vertus intrinsèques d’un large collège pour élaborer la loi. Ainsi, en constitutionnalisant cette dérogation aux domaines préétablis, l’efficacité gouvernementale est sécurisée et le travail parlementaire revalorisé.
Le Gouvernement peut ainsi édicter des normes à coté du Parlement mais également pour le Parlement sous réserve de son habilitation a priori par ce dernier et de la ratification de son projet a posteriori. Le Parlement a désormais un collaborateur constitutionnel, mais il se voit plus encore contraint de constater qu’il n’est plus le seul auteur de normes générales et impersonnelles. À coté de son domaine de compétence s’en trouve un qui n’a de limite que le sien, et qui le limite doublement à sa mission fondamentale. Le Parlement ne peut plus ce qu’il veut, il est pris dans le cadre de la Constitution qui exige de lui le respect d’un certain contenu, le contrôle dans ce qu’il édicte par l’introduction d’une référence.
De facto, si le légicentrisme faisait dire à Montesquieu que le juge n’est que la bouche de la loi, ici, c’est bien le Législateur qui se voit contraint par la lettre de la norme (constitutionnelle). D’ailleurs, le juge sera pensé comme la manifestation vivante de la frontière entre la loi et le règlement, toujours dans l’idée de préserver l’autonomie du Gouvernement qui, s’il applique toujours la loi, peut aussi exercer un moyen de contrôle sur elle dès lors qu’elle contrarie sa propre compétence normative. Le magistrat qui n’était plus rien est repensé, réanimé, en rupture avec la conception classique afin de trancher les litiges éventuels entre le législateur et le Gouvernement.
B. La définition négative du domaine règlementaire : l’avènement ambigu d’un Cerbere de l’exécutif
Lorsque les Constituants de 1958 ont pensé définir un domaine législatif, ils ont parallèlement pensé au moyen de préserver son effectivité. C’est dans cette perspective que le Juge constitutionnel fut pensé, ab initio, comme un Cerbere de l’exécutif. Empêcher le Législateur de disposer une nouvelle fois de la compétence de sa compétence, soit d’être tout puissant, est un enjeu crucial qui s’inscrit dans la volonté de rationaliser le Parlement. Il fallait que par la disposition des choses, le primat de la volonté politique fût contrebalancé par quelque organe purement juridique. Beaumanoir déjà, au 13e siècle, identifiait l’utilité d’une séparation rationalisée entre le Législateur (alors le Roi) et son exécutant en ce que celui-ci ne pouvait que bénéficier du Conseil extérieur d’experts sans compétences
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