Commentaire arrêt ch. crim 3 mars 1960 Ben Haddadi
Par Christopher • 6 Mai 2018 • 2 140 Mots (9 Pages) • 3 306 Vues
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Il est vrai que son raisonnement est juste, mais les juges vont l'écarter en estimant "qu'il ne s'agit pas, en tel cas d'un crime unique dont la poursuite sous deux qualifications différentes serait contraire au vœu de la loi, mais de deux crimes simultanés commis par le même moyen, mais caractérisé par des intentions coupables différentes". La Cour de cassation ajoute qu'aucune irrégularité n'a été commise dès lors qu'une seule peine a été prononcée.
Il faut remarquer que la chambre criminelle applique ici le régime du concours réel d'infractions prévu à l'article 132-2 du Code pénal et qui admet la possibilité, si une personne a commis plusieurs faits distincts dont aucun n'a fait l'objet d'une condamnation définitive, de donner une peine différente pour chacun d'eux.
La Cour de cassation traite donc le concours idéal de qualification en concours réel d'infraction.
Cette décision peut paraître étonnante car les juges refusent d'appliquer le concours idéal de qualification alors même qu'un fait unique est constaté.
Cependant la Cour de cassation a anticipé les critiques que pourraient susciter sa décision en l'a justifiant aux motifs qu'en l'espèce, l'acte consistant à lancer une grenade dans un café, même si il constitue un fait unique, est bien lié à deux crimes distincts par leur nature et leur élément moral.
Ainsi, l'accusé a porté atteinte au droit à la vie et au droit à la protection de sa propriété. La décision se justifie donc par la défense des valeurs sociales d'une telle importance que leur atteinte ne peut rester impunie.
II- Une décision justifiée suscitant néanmoins des difficultés de mise en œuvre
Bien qu'une telle décision semble bouleverser les précédents jurisprudentiels, elle ne constitue pas pour autant une violation du droit français et se justifie par la volonté de protéger l'ordre social (A). Néanmoins, cela n'empêche pas qu'elle engendre parfois des difficultés d'applications (B)
A) La justification de la décision au nom de la protection des valeurs sociales.
En l'espèce, la Cour de cassation souligne que deux valeurs sociales protégées ont été atteintes, à savoir le droit à la vie et le droit à la protection de sa propriété.
En effet, en lançant une grenade dans l'immeuble d'un café, l'auteur des faits avait l'intention d'une part de détruire cet immeuble, d'autre part, de tuer les individus se trouvant dans le café.
Ainsi, par cet arrêt, la Cour de cassation a estimé que si les qualifications en concours protégeaient des valeurs sociales différentes, alors il faut retenir plusieurs qualifications car il existe différentes intentions coupables.
Une telle décision a été accueillie de façon mitigée par la doctrine mais même les plus sceptiques des auteurs ont abandonné leur doute au motif que le plus important est la protection des valeurs sociales en péril. Par cet arrêt la Cour de cassation a bien démontré qu'il était important de défendre l'ordre social.
Il est vrai, que l'auteur des faits n'est pas parvenu au résultat recherché car indépendamment de sa volonté l'immeuble n'a subi que quelques dégâts et les blessures infligées par le jet de la grenade n'ont pas été mortelles.
Néanmoins, les éléments intentionnels étaient bien présents.
Ainsi, l'arrêt Ben Haddadi fait office d'arrêt de principe. Sa solution sera par la suite suivie comme exemple dans l'arrêt du 22 novembre 1983.
Dans cette affaire, un homme a lancé une grenade dans un lieu public qui causa des dégâts matériels et blessa des personnes. La Cour de cassation va alors aussi retenir deux infractions distinctes, à savoir la tentative d'homicide et la destruction de bien public au motif que les deux crimes étaient là aussi différents de leur nature et de leurs éléments constitutifs.
De même dans un arrêt de même date, les crimes dont les individus étaient accusés étaient très différents aussi par leur nature et leurs éléments constitutifs. En effet, en l'espèce la prise d'otage n'était pas forcément un crime lié au détournement d'aéronef et le deuxième crime présentait un caractère matériel très marqué, qui n'était pas présent dans la prise d'otage.
La Cour de cassation avait donc retenu deux qualifications différentes car les deux condamnés avaient porté atteinte à deux valeurs sociales distinctes.
Au regard de ce qui a été précité, il faut dire que l'élément intentionnel est une valeur essentielle en matière de qualification. Mais ce système attaché au nombre de valeurs sociales atteintes n'est pas démuni d'un certain subjectivisme et peut provoquer des hésitations dans certains cas.
B) L'existence de difficultés pratiques de mise en œuvre.
Il faut noter que le régime de la double qualification a été validé par la Cour Européenne des Doits de l'Homme (CEDH) dans un arrêt dit Oliveira du 30 juillet 1998, dans lequel les juges ont estimé que le principe selon lequel qu'une même infraction ne peut être jugée deux fois ne s'oppose pas à ce qu'un même fait s'analyse en deux infractions distinctes.
D'ailleurs, la CEDH a réaffirmé cela dans un arrêt Goktan contre France du 2 juillet 2002 en précisant que le principe "non bis in idem" n'interdit pas à un tribunal de juger deux infractions différentes résultant d'un seul fait.
Bien que la règle posée par l'arrêt Ben Haddadi a été appliquée à multiples reprises, il n'empêche qu'elle suscite un contentieux dans son application.
En effet, il arrive que les juges ne retiennent qu'une seule qualification alors même qu'il y atteinte à plusieurs valeurs sociales protégées. C'est le cas dans un arrêt du 13 janvier 1953 dans lequel il était question d'un acte d'immoralité en public. On aurait pu retenir l'atteinte à une personne et à la moralité publique.
Il arrive que parfois le juge retient plusieurs qualifications alors qu'il n'y a qu'une seule valeur sociale protégée atteinte. Dans l'espèce d'un arrêt
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