Madame Bovary est-il un roman réaliste ?
Par Andrea • 11 Avril 2018 • 2 168 Mots (9 Pages) • 696 Vues
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de portraitiste, d’artiste peintre, de poète, en utilisant les outils stylistiques du poète et non du romancier réaliste. Il privilégie ainsi les métaphores, les comparaisons, le rythme ternaire plutôt que « l’avancement » de son intrigue. Cette quête du « beau » se retrouve aussi dans les épisodes où il est évident que le point de vue n’est pas celui de Flaubert mais celui d’Emma, donc interne, et qui laisse libre cours à ses rêves romantiques, ou à ses désillusions (chapitre IX, partie II : « les ombres du soirs descendaient ; le soleil horizontal passant entre les branches lui éblouissaient les yeux. Çà et là, tout autour d’elle, dans les feuilles ou par terre, des tâches lumineuses tremblaient, comme si des colibris en volant, eussent éparpillé leurs plumes. »). Flaubert retranscrit ce véritable poème en prose correspondant aux tableaux impressionistes de son époque, évidemment avec jubilation et là encore, totalement gratuitement au plan de son intrigue. On remarque bien ici que l’on n’as pas du réalisme mais de l’esthétisme pur. L’écriture sublimé de Flaubert se retrouve aussi dans les épisodes du style indirect libre, nottament avec le fameux passage situé dans le chapitre XII de la IIème partie « Au galop de 4 chevaux, elle était emportée depuis 8 jours vers un pays nouveau. Ils allaient, ils allaient, les bras enlacés... ». On pourrais utiliser comme argument, pour justifier l’aspect poétique de l’écriture, le fait que cette prétendue prose réaliste est très facile à apprendre par coeur, comme la poésie, grâce a sa musique, son rythme (les allitérations, les assonances, étant très fréquentes sous la plume de Flaubert). Enfin, dans le montage de certains motifs du roman, on retrouve une tendance poétique qui n’a rien à voir avec le souci documentaire réaliste : la figure de l’Aveugle qui n’est absolument pas réaliste mais allégorique ou symbolique, hyperbolique, pour en faire une vision d’horreur boschienne ou brughelienne, destinée à revenir hanter la conscience d’Emma, à son agonie. Comme un motif musical, le lecteur entend plusieurs fois la chanson de ce personnage et emmagasine des émotions comme en poésie...
Nous l’avons vu, Flaubert, par son dualisme psychologique, vas bien au delà d’une écriture de type réaliste. Cependant, qu’entend-on par « réalisme » ? Ce terme n’est-il pas un mythe ? C’est ce qu’affirme G. De Maupassant dans la « Préface à Pierre et Jean ». Dans cette ouvrage, l’auteur affirme que le réalisme au sens propre n’existe pas mais qu’il n’est qu’une illusion. En effet, « la vie est composée des choses les plus différentes, les plus imprévues, les plus contraires, les plus disparates ; elle est brutale, sans suite, sans chaîne, pleine de catastrophes inexplicables, illogiques et contradictoires qui doivent être classés au chapitre ‘faits divers’. Voilà pourquoi l’artiste ayant choisi son thème, ne prendra dans cette vie encombrée de hasards et de futilités que les détails caractéristiques utiles à son sujet, et il rejettera tout le reste, tout l’à-côté. ». G. de Maupassant souligne ainsi que ces « choix » pratiqué par l’auteur pour constituer son histoire portent atteinte à la théorie de toute la vérité. Selon lui, les réalistes devraient plutôt s’appeler des illusionnistes car « Faire vrai consiste donc à donner l’illusion complète du vrai, suivant la logique ordinaire des faits, et non à les transcrires servilement dans le pêle-mêle de leur succession. » Il souline enfin que la réalité, au sens général du terme, n’existe pas, car chacun de nous porte sa propre réalité en fonction de comment il est constitué. Ainsi « nos yeux, nos oreilles, notre odorat, notre goût différents créent autant de vérités qu’il y a d’homme sur terre. ». Chacun de nous se faisans sa propre illusion du monde suivant sa nature, « l’écrivain n’as alors d’autre mission que de reproduire fidèlement cette illusion avec tous les procédés d’art qu’il a appris et dont il peut disposer. »
Cette vision du monde que G. de Maupassant appelle l’illusion réaliste rejoint la définition de l’oeuvre d’art de Zola « un coin de la création vu à travers un tempérament ». Or, ne rejoingnent-elles pas « la vérité de la condition humaine » tout en n’étant pas réaliste ? Cette illusion, faite de pessimisme et de dérision rejoint en fait la « réalité » de 1857 et la vérité de l’existence quand elle est médiocre. Elle exprime le réel désenchanté des années 1840 à 1870 sous la monarchie de juillet et le second empire où le seul mot d’ordre est « Enrichissez-vous ! ». Il n’y a alors plus d’autres valeurs que l’essor de l’économie, qui occupe tous les esprits, et favorise la bourgeoisie en pleine ascension. Cette société de la seconde moitié du XIXème siècle est aussi marquée par le règne de l’hypocrisie. En effet, c’est une société qui vas récompenser les plus malhonnêtes et les plus médiocre à l’image du chapitre final du roman qui marque le triomphe d’Homais qui exerce illégalement la médecine et laisse Berthe à son triste sort d’orpheline alors qu’il était censé être l’ami, l’intime des Bovary, entrant dans leur chambre à toute heure, nottament pendant l’épisode du pied-bot d’Hyppolite... Cette condition humaine vue à travers la psychologie de Flaubert a reçu le nom de Bovarysme, adopté pour définir un mélange d’insatisfaction existentielle, d’ennui et de médiocrité. Flaubert a ainsi su donner un retentissement universel à un sentiment que tout le monde connait lorsqu’on est pessimiste « D’où venait donc cette insuffisance de la vie, cette pourriture instantanée des choses... Tout mentait. Chaque sourire cachait un bâillement d’ennuie ».
La déclaration « madame Bovary, c’est moi » est sans doute apocryphe mais elle renvoie à une vérité incontestable : l’héroïne de fiction a dit quelque chose de vrai, réaliste ou pas, non seulement sur son auteur : Flaubert, qui s’est identifié à elle, mais aussi sur une bonne part de l’humanité, celle qui doute, celle qui souffre de frustration, hommes ou femmes, car Emma et Charles sont un couple « infernal éternel » qui allégorise l’une des facettes de l’humanité en proie à l’amertume. Stendhal écrivait en 1830 qu’un « roman est un miroir que l’on promène le long d’un chemin » et pour cette définition, on l’a aussi classé parmi les « réalistes ». Pourtant, l’auteur proposait la vision inverse de Flaubert en developpant une incitation constante et inlassable à la chasse au bonheur « faite d’élans, de tendresse et de sensibilité récompensée ». A chacun ainsi de choisir son « réalisme
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