Le roman de Laclos est-il une œuvre libertine ou édifiante ?
Par Matt • 18 Avril 2018 • 1 946 Mots (8 Pages) • 864 Vues
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Elle n'est alors pas totalement anéantie et il faudra attendre que le « destin » (ou le châtiment « divin » suivant le point de vue) s’en mêle pour qu’elle soit plus cruellement atteinte.
Finalement, la plus coupable, l’instigatrice, est celle qui semble sur le moment payer le prix le plus faible ; ce qui n'est pas aussi moral que le prétendait le rédacteur. Au contraire, on peut lire à travers le destin de Mme de Merteuil une certaine victoire de son intelligence et de son opportunité. Valmont paie le prix fort : il mourra comme nous l’avons détaillé précédemment. Sa mort est justifiée selon les codes de l'honneur de l'époque, mais elle apparaît très vite comme étant "une erreur": elle est moins la conséquence de sa perfidie que de celle de Mme de Merteuil.
Danceny en est lui aussi la victime et regrette ce duel fatal : " Je gémis de la fatalité qui a causé à la fois vos chagrins et mes malheurs;" écrit-il à Mme de Rosemonde dans la lettre 169. Valmont, agonisant demande que l'on ait pour son justicier " tous les égards qu'on doit à un brave et galant homme" (lettre 163). Et la remise des lettres achève de le disculper, comme le confirme la rumeur rapportée par Mme de Volanges : " On dit que la querelle survenue entre M. de Valmont et le chevalier Danceny est l'ouvrage de Mme de Merteuil". Et les "deux rivaux" se sont réconciliés avant le trépas de Valmont (lettre 459).
Cécile et Danceny retrouvent le chemin de la vertu après quelques mois d'égarements, mais c'est un pis-aller, car ni l'un ni l'autre n'ont la vocation.
Cécile est en sécurité au couvent, elle n'a pas de compte à rendre à sa mère et surtout, sous couvert de son nouvel habit, elle peut garder pour elle son secret. Quant à Danceny, il fuit le monde et ses "horreurs" : c'est un jeune homme déçu, presque amer, qui cherche l'oubli de son jeune passé et de toute cette déraison. Cette fin édifiante ne semble justifiée que par le souci de conclure sur une note moralisatrice car, reconnaissons-le, rien dans les comportements de l'un et de l'autre ne le laissait présager : Cécile était une fervente adepte des plaisirs et trompait Danceny sans remords ni regrets ; Danceny était moins pervers que Cécile, mais tout autant attaché aux plaisirs ; reflet de la « jeunesse dorée » de l’époque dans laquelle les jeunes hommes et femmes encore naïfs découvrent les nombreux aspects d’une vie d’oisiveté
La mort de Mme de Tourvel montre la toute-puissance de la passion et l'impossibilité de s'en défendre ou de la surmonter. Tourmentée entre ses remords et ses désirs, consciente de sa faute mais incapable, bien que retirée dans un couvent pour expier, de renoncer à l'idée de ne plus voir Valmont
("Combien j'ai souffert de ton absence ! Ne nous séparons plus, ne nous séparons jamais.." lettre 161), elle se laisse mourir dés qu'elle apprend la mort de celui-ci, preuve ultime qu'elle ne peut vivre sans lui.
Sa mort illustre le triomphe de la passion et démontre que, aussi vertueuse puisse être une femme, aussi attachée soit-elle à ses devoirs et à ses principes, elle est capable de tout sacrifier à la personne qu’elle aime ou ce qui lui est plus cher Il semble qu’il n’y ait pas de place dans cette société pour l’Amour sincère et les sentiments les plus purs… Tout n’est qu’apparence et manipulation.
Prévan, lui, est certes réhabilité mais c'est uniquement afin de réparer l’injustice dont il a été victime. En aucun cas son statut de libertin ne s'en trouve modifié : il est juste réintégré dans une société qui se trouve à son image.
Au final, aucun de ces nombreux destins n'est satisfaisant selon la morale que Laclos décrit ici. Le mal est certes puni mais il reste tout de même l’élément principal de la « «pièce » : tout ce qui a été intrigué, orchestré par Mme de Merteuil est arrivé et bien au-delà (elle n'avait pas imaginé la mort de Valmont, sa réaction dans le film nous le fait comprendre sans aucun doute).
De plus, Valmont, en confiant ses lettres à Danceny, se désiste et lui donne l'occasion de le venger une dernière fois ainsi que les autres personnages. Même la sage Mme de Rosemonde qui, par expérience a appris qu'il ne faut pas chercher le bonheur " hors des bornes prescrites par les Lois de la Religion" (lettre 171), en demandant à Danceny de lui restituer les lettres de Cécile, agit ainsi plus pour préserver la réputation de Mme de Volanges que par sympathie envers Cécile. Elle est la gardienne de tous les secrets, secrets qu'elle entend garder pour elle seule (contrairement aux libertins), pour ne pas déranger l'ordre établi. Dés lors elle devient elle aussi complice de toutes ces perfidies en essayant d’étouffer les scandales.
Par ailleurs, c'est Mme de Volanges qui conclut le roman ; personnage qui n'est pas le mieux placé puisque le destin de Cécile est en partie lié à l'éducation qu'elle lui a donné.
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Même si différents éléments ainsi que l’épilogue du livre pourrait faire paraître ce roman comme une éloge du libertinage le mérite de Laclos est de toute évidence d'avoir porté un regard sans complaisance sur la société aristocratique de son temps ; et c'est sans doute pour cette raison que son livre a suscité à la fois intérêt et blâme.
Il nous montre une société :
- dominée par l'art du paraître
- dominée par le pouvoir de l'argent
- dominée par le culte du plaisir
- dominée par des mœurs dissolues
- dominée par l'oisiveté
Je pense donc que ce roman est une œuvre critique et non un éloge du libertinage, et ce malgré une fin à la morale discutable mais qui reste le reflet réaliste d’une époque.
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