Les mains sales, cinquième tableau, scène III.
Par Andrea • 4 Juin 2018 • 1 791 Mots (8 Pages) • 874 Vues
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à eux. Il lui explique qu’il est proche des hommes, qu’il les aime tels qu’ils sont. Ce ne sont pas des idées mais des êtres de chair et de sang, des personnes qui luttent et qui souffrent. Hoederer passe insensiblement du « ils » à « tu » et de l’humanité à « un homme » : Hugo, qui ne peut aimer les hommes puisqu’il ne s’aime pas lui-même. Cette pureté qu’Hoederer reproche à Hugo, c’est la volonté de ne pas agir comme il le faut dans l’instant présent, de ne pas se « salir les mains » par des alliances condamnables. Lorsqu’on ne sait plus faire la différence entre cet être d’apparence, cette image de soi que l’on voudrait donner aux autres et notre être intime, ce que nous sommes réellement, Sartre, dans L’Etre et le néant appelle cela : « mauvaise foi ». Hugo ne sait plus très bien qui il est ni ce qu’il doit faire. Il refuse une alliance qui pourrait épargner bien des vies humaines parce qu’il tient à ses principes. Il oublie que ces principes n’ont pas de corps, de sang, qu’ils ne souffrent pas ; il ne veut pas changer le monde mais seulement « le faire sauter » : il est donc un assassin.
La conclusion est volontairement brutale : elle place Hugo devant ses responsabilités et l’accuse directement. « Ce n’est pas ta faute : vous êtes tous pareils. Un intellectuel, ça n’est pas un vrai révolutionnaire ; c’est tout juste bon à faire un assassin. »
Ce que comprend Hugo :
Ce n’est pas spécifié. On peut penser qu’il reconnaît le bien fondé du raisonnement d’Hoederer. Il ne parvient pas à lui opposer des arguments convaincants. Ses réponses sont très courtes et traduisent son trouble. Il manque de peu de trahir les membres du Parti qui l’ont sollicité : il répond à Hoederer : « Malheureusement pour vous, je ne suis pas le seul de mon avis » et celui-ci réplique immédiatement : « Pas seul ? Tu savais donc quelque chose de nos négociations avant de venir ici ? ». Hugo est désorienté.
Son discours est incohérent : il reconnaît ne pas aimer les hommes mas il affirme simultanément s’intéresser à leur avenir.
Le mot « assassin » à la fin du raisonnement d’Hoederer semble le faire réagir mais ce n’est pas pour réfléchir et répondre, proposer des idées. Ce mot lui rappelle pourquoi il est venu et il semble qu’il soit sur le point de saisir son arme et de tuer, comme si Hoederer, en prononçant ce terme redouté avait en quelque sorte appuyé sur un bouton pour mettre en marche un homme-machine, un tueur qui ne doit surtout pas penser.
La tension dramatique
Ce mot d’ « assassin » est donc très important. Il est le dernier du raisonnement d’Hoederer. Ce qu’il provoque chez Hugo est immédiat, comme s’il lui rappelait qu’il n’est plus temps d’écouter des discours mais qu’il est venu ici pour agir. Jessica se place immédiatement entre Hugo et Hoederer. Elle a compris ou senti qu’Hugo allait agir.
Mais quel était l’objet du discours d’Hoederer ? informer Hugo ? lui enseigner l’action pragmatique (tournée vers l’efficacité) révolutionnaire ? Ne serait-ce pas, bien au contraire, un acte pensé autrement ?
Dans la pièce de Shakespeare, Hamlet organise la mise en scène d’un drame pour pousser le roi son oncle à avouer son crime. Hoederer ne voudrait-il pas faire de même ? représenter à Hugo l’horreur de son crime pour l’amener à se démasquer ?
Le mouvement de Jessica et l’entrée en scène des deux gardes du corps, Georges et Slick, empêchent Hugo d’aller plus avant.
Les réponses d’Hugo sont souvent des aveux. Il parle à Hoederer comme s’il se parlait à lui-même sans penser qu’il se découvre :
Ce que dit Hugo ce qu’Hoederer peut comprendre
« On s’apercevra un jour que je n’ai pas peur du sang » Hugo ne fait pas qu’écrire. Il peut
aussi être dangereux
« Je ne suis pas seul de mon avis » Hugo connaissait les négociations
avant de le rencontrer
« On en avait parlé en l’air au Parti » au Parti, on ne parle jamais « en l’air »
« On ne fait pas la révolution avec des fleurs »
« Les hommes ? Pourquoi les aimerais-je ? » Hugo peut être insensible ou cruel
« Un assassin. Oui ! »
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