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Le vrai est-il toujours vraisemblable ?

Par   •  8 Novembre 2017  •  3 259 Mots (14 Pages)  •  1 334 Vues

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Ainsi, comme nous venons de le voir, la simple vraisemblance, loin d’être un signe de vérité, peut, au contraire, servir l’illusion et nous y maintenir.

Faut-il, dès lors, séparer radicalement la vérité de la vraisemblance ? Comment la vérité pourrait-elle nous apparaître si son apparence doit être toujours soupçonnée, si cette apparence est toujours trompeuse ?

N’y a-t-il pas des signes, des critères rationnels, qui nous permettent de distinguer le discours vrai du discours faux ?

II. Les signes capables de nous assurer de la vérité

On a souligné à quel point la simple vraisemblance pouvait être trompeuse et être le signe de l’illusion bien plus que de la vérité. Cela dit, s’il ne suffit pas qu’une idée nous apparaisse vraie pour qu’elle le soit nécessairement, on ne saurait séparer radicalement vérité et vraisemblance sans sombrer dans le scepticisme. En effet, comment pourrions-nous nous assurer de la vérité si elle ne peut jamais nous apparaître en tant qu’elle-même ? Dès lors, la critique de la vraisemblance suppose que nous dégagions des critères capables de nous faire reconnaître la vérité d’une idée et de distinguer la simple croyance de la certitude. Une telle critique nous démontre qu’on ne peut fonder une vérité uniquement sur le jugement, sur le sentiment de vérité que peut éprouver le sujet. La simple croyance ne signale rien d’autre encore que l’adhésion à une idée. Or, comme le souligne Alain, dans ses Eléments de philosophie, « penser n’est pas croire » ; la pensée suppose que nous suspendions notre jugement sur la valeur d’une idée, tant qu’elle n’a pas été mise à l’épreuve du raisonnement. Ainsi, si le croyant fait de l’objet de sa croyance un enjeu existentiel et propose son seul sentiment comme la preuve ultime de la vérité de son idée, le penseur lui, au contraire, maintient une distance critique vis-à-vis de ses idées, les prenant comme de simples hypothèses, qui doivent être soumises à l’épreuve de l’objection. Certitude et croyance doivent être suspendues, pour viser l’universalité, exigence première de toute recherche de vérité. Un simple sentiment subjectif de vérité est insuffisant ; l’idée doit pourvoir valoir pour toute raison. Ainsi, rechercher la vérité, c’est s’efforcer de surmonter les particularités qui déterminent le jugement (désirs, craintes, société, histoire), et qui le conduisent à considérer telle idée comme plus vraisemblable qu’une autre.

Ainsi, la vraisemblance est aussi variable et relative que le sont les opinions : elle révèle davantage les passions. Kant, dans la Critique de la faculté de juger, distingue la simple opinion (à laquelle se rapporte la vraisemblance) et la pensée authentique (qui cherche à fonder la vérité d’une idée). L’opinion ne se justifie pas par elle-même, alors que la pensée véritable est autonome (se fonde elle-même en produisant les raisons et les preuves de sa vérité). L’opinion est toujours relative (temps, lieu), la pensée; là où l’opinion est toujours vise l’universel (sa valeur peut être reconnue par toute raison). L’opinion est souvent inconsciemment contradictoire, tandis que la pensée véritable exige la cohérence. Toute méthode scientifique est alors un effort pour dégager des principes capables de garantir la vérité d’une idée, sans que cette idée ne soit fondée sur un sentiment (donc pas simplement vraisemblable). L’enjeu est de déterminer des critères de vérité tels que le discours soit autonome. Descartes règle son Discours de la méthode sur cette exigence : pour dépasser la relativité infinie de nos opinions, il faut garantir une maîtrise de notre pensée telle que chacune des propositions que nous avançons soit rigoureusement enchaînée aux autres, selon un lien nécessaire et non arbitraire. Si cette méthode se réclame du modèle de la démonstration mathématique, c’est parce que l’enchaînement démonstratif permet d’assurer l’autonomie du discours, tel que chaque proposition éclaire sa raison dans cet ordre, et est déduite des propositions précédentes. Si l’ordre déductif des mathématiques apparaît donc comme un modèle pour la pensée, c’est parce que dans un tel ordre, une idée renvoie à une autre idée et non à une appréciation subjective. Leibniz, reconnaissant cette autonomie du discours démonstratif, développe ensuite le projet d’une « mathématique universelle », qui permettrait de s’assurer de la vérité d’un discours à partir de son analyse logique.

Dès lors, la vérité ne dépend plus du jugement particulier, mais devient inséparable d’un ordre rationnel et nécessaire. En ce sens, l’effort pour distinguer la vérité de la simple vraisemblance est l’effort pour dépasser l’arbitraire des jugements. Ainsi, critiquer la vraisemblance, ce n’est pas renoncer à toute vérité, mais distinguer les critères qui nous permettront de l’assurer. Cette critique peut apparaître comme le moteur de toute recherche scientifique. En effet, comment nous serait-il possible d’approcher la vérité, si elle était contenue dans les limites du vraisemblable, de l’évident ? Toutes nos connaissances et sciences ne seraient alors que la répétition improductive des évidences communes. Or, pour l’épistémologue Gaston Bachelard, la science ne commence véritablement qu’en rompant avec le sens commun : la vraisemblance est donc le premier des obstacles épistémologiques (des obstacles à la connaissance) que le chercheur doit surmonter. Poursuivre la vérité en science, c’est transformer en problèmes ce que le sens commun considère comme évident. Toute révolution scientifique, selon Thomas Kuhn (dans la Structure des révolutions scientifiques), vient heurter les codes de la « science normale », du vraisemblable, à une époque donnée pour une science donnée : Galilée, Pasteur, Einstein,… toutes les grandes théories ont commencé par sembler invraisemblables et par être dénoncées selon les théories ou conceptions du monde admises à leur époque. En ce sens, l’histoire des sciences exprime la façon dont la pensée invente des théories, en se libérant des dogmes de la vraisemblance. La théorie scientifique bouscule alors les limites étroites du sens commun. [pic 2]

Ainsi, non seulement la vérité peut être invraisemblable, mais sa recherche même suppose que nous fassions la critique de la simple vraisemblance.

Faut-il, dès lors, considérer que la vraisemblance est toujours trompeuse ?

Doit-on en faire

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