L'Horloge, les Fleurs du mal - Baudelaire
Par Matt • 11 Juin 2018 • 2 883 Mots (12 Pages) • 850 Vues
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- La personnification de la « Seconde »
Aux vers 9 et 10, « La Seconde / Chuchote… » : le temps éternel de l'horloge se décompose jusqu’à l'infiniment petit : les «Trois mille six cents» secondes qui font une heure sont unifiées en un singulier, «la Seconde», qui, isolée à la fin d’un vers coupé très irrégulièrement, se manifeste, dans un enjambement intrigant, par, son chuchotement insidieux qui répète le refrain : «Souviens toi !».
Ce chuchotement pourrait être le fait de cette «voix d’insecte» (donc quasiment imperceptible) qui, après la forte coupure que produit le tiret du vers 10, et grâce à un nouvel enjambement dramatique, apparaît comme celle d’un «Maintenant», qui dit : «Je suis Autrefois». Cela paraît d’abord illogique, mais, en effet, «Maintenant» est un moment insaisissable : le temps de prononcer son nom, il a déjà disparu dans le passé. Et pourtant, aussi éphémère, aussi insaisissable soit-il, c'est par le «maintenant» que nous faisons l'expérience du temps.
- Le temps, « un joueur avide »
Dans une image cauchemardesque, le poète, faisant du Temps un joueur hostile et puissant, qui désire ardemment et immodérément gagner la partie, doit, usant d’un présent de vérité générale, reconnaître qu’il y parvient, constatant, dans un style familier, presque vulgaire, qu’il le fait «sans tricher, à tout coup ! c'est la loi».
- Dramatisation par la prosopopée et L’image fondamentale de l’engloutissement
- La prosopopée
La prosopopée est un procédé par lequel on fait parler ou agir un mort, un animal ou une chose personnifiée. Ici, l’Horloge s’adresse à l’homme du vers 2 à la fin : « Horloge ! dieu, sinistre, effrayant, impassible, / Dont le doigt nous menace et nous dit : Souviens-toi! ».
Comme si un défi était lancé contre elle, l'horloge est apostrophée, ainsi que l’indique le point d’exclamation. Elle personnifie évidemment le temps qui passe.
En donnant la parole au temps, la prosopopée interpelle plus sûrement le lecteur que ne le ferait un discours philosophique. Il fait de l’horloge la grande Institutrice, qui prononce un discours d'avertissement direct, rappelant à l’ordre, à la nécessité de se souvenir de l’inéluctabilité de la catastrophe finale qu’est la mort. L’horloge, tutoyant un être humain (à la fois l’auteur et le lecteur) qui est dépourvu de conscience et de sérieux, lui lance un premier impératif, un «Souviens-toi !» qui sera comme un refrain dans le cours du poème, qui doit être une expérience personnelle à laquelle chacun fait face.
- L’image de l’engloutissement
La figure de l’ogre se profile dans le texte avec le verbe « dévorer » (v.7). Le temps est bien un agresseur dangereux puisqu’à «chaque instant», comme un ogre qui consomme la chair des êtres humains, il «dévore un morceau du délice», prive peu à peu les êtres humains de leur plaisir. La figure du vampire, toujours insatiable, transparait avec le verbe « pomper », « Et j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde ! » (v.12) et le mot soif (« le gouffre a toujours soif », v.20). La crainte de l’engloutissement se révèle enfin dans l’image du gouffre (v.20). Baudelaire parvient à rendre l’angoisse suscitée par le temps en fusionnant les images de l’ogre, du vampire et de l’abîme. On ne peut mieux évoquer la peur du néant.
- Dimension tragique du combat entre l’homme et le temps et portée philosophique du poème
- Un combat tragique
- La fuite du temps dans le poème
La fuite du temps est représentée de différentes manières dans le poème. Tout d’abord, on peut évoquer des impressions sensibles comme le mouvement des aiguilles et le tic-tac de l’horloge, associées à des images comme celle du « doigt » au vers 2 et celle des « vibrantes Douleurs », au vers 3. L’analogie entre le doigt et l’aiguille est d’ordre concret (même forme effilée) et d’ordre abstrait. Tous deux représentent une menace : le temps et Dieu.
Les «Douleurs» sont «vibrantes» à la fois parce qu’elles provoquent une intense émotion qui fait frémir, trembler, et parce qu’elles sont comparées aux flèches qui sont projetées sur la «cible» qu’est le cœur, et s’y fichent en continuant à trembler. Tirées par des archers invisibles et implacables, elles ne se plantent pas au hasard. Ce ne sont pas des flèches aveugles qu'on peut espérer éviter par la chance. Elles nous visent. Elles nous sont destinées, comme les douleurs de notre vieillesse, nos regrets, nos remords.
Le thème de la fuite du temps est également évoqué à travers la « clepsydre » du vers 20. La clepsydre est une horloge à eau qui, comme le sablier, mesure l’écoulement du temps par un système proportionnel de plein et de vide. Ici, le poème évoque l’idée que la « clepsydre se vide » : de la goutte d'eau à la goutte de vie volée par l'Horloge, il n'y a qu'une nuance.
- « Hasard », « Vertu » et « Repentir
Dans la dernière strophe, l’horloge s’adresse toujours à l’être humain pour lui reprocher d’avoir repoussé «la Vertu», qui est dite «auguste» parce qu’elle inspire un grand respect, un respect d’ailleurs si grand que, la féminité de cette notion étant habilement exploitée, il ne l’a pas touchée, qu’il ne s’est pas encore uni à elle, qu’elle est «encor vierge». Comme ce mariage n’a malheureusement pas été consommé, l’être humain, jusque-là insouciant, coupable d’avoir perdu son temps à des futilités, en aura lourd sur la conscience, et, sur le chemin qui le mène inéluctablement à la mort, croira pouvoir s’arrêter à ce qui est qualifié, dans une autre parenthèse, de «dernière auberge», d’ultime étape. C’est «le Repentir» des fautes commises, le tardif regret d’avoir oublié les valeurs. On peut y voir une claire allusion à la scène 5 de l'acte V du ‘’Dom Juan’’ de Molière, et à la dernière chance que donne le Spectre à Don Juan de se repentir : il n’a plus qu’un moment à pouvoir profiter de la miséricorde du Ciel ; et, s’il ne se repent, sa perte est résolue.
Le repentir laissera un espoir jusqu’au dernier moment, mais cette étape même sera dépassée, cette ressource
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