Commentaire du sonnet "Ministre du repos, Sommeil, père des songes" de Théophile de Viau
Par Ramy • 26 Août 2018 • 1 755 Mots (8 Pages) • 858 Vues
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Donc, ici le poète propose bien une nouvelle image du sommeil. Celui-ci n'est pas là pour prendre de la vie à l'Homme mais bien pour lui permettre d'en profiter différemment. Derrière cette démonstration, le poète prépare d'ailleurs une confession de son amour de la vie.
La confession est annoncée par quelques jeux phoniques, une remise en cause de la poésie d'autrefois avant d'être clairement exprimée.
Ce poème est très riche en rimes et jeux sonores. Les rimes sont très souvent riches : « songes / mensonges » ou encore « plonges / allonges » et les sonorités internes aux vers souvent répétées : « repos / père » (cela accentue d'ailleurs ici l'encadrement du mot « Sommeil » parce que nous avons comme une sorte de chiasme phonique). Il y a également la présence de vers très musicaux, comme le tout premier du premier tercet : « Dans ce petit moment, ô songes ravissants ! ». L'emploi du son [s] et de la voyelle nasale [ã] rendent la lecture de ce vers très fluide. Il résonne dans nos oreilles comme un chant. Ces jeux phoniques créent des liens dans le poème permettant ainsi de préparer la confession pendant tout le sonnet. Les répétitions de certains mots participent à ce phénomène. Nous avons déjà parlé des répétitions du mot « Sommeil » ou du mot « mort ». Les mots « image » et « songes » sont également répétés par deux fois.
La confession du poète est également annoncée par la position prise par celui-ci. Il se place en effet très clairement à l'opposé des auteurs classiques, en donnant une nouvelle image du sommeil pour commencer. Mais pas seulement. Il se place également au-dessus d'eux et les dénigre presque : « Que ces faiseurs de vers t'ont jadis fait tort ». Ils ne sont même pas poètes pour lui. Il ne leur donne en tout cas pas ce titre. Il remet en cause leur légitimité artistique par cette simple appellation. Et peut-être que c'est pour cela qu'il les a liés à des éléments de la peinture. Parce que pour lui, ils ne sont pas vraiment des poètes. C'est être très sûr de soi que d'avancer une telle chose. En effet, depuis les débuts de la poésie, sommeil et mort vont de paire. Le grand poète Homère lui-même avait dit dans son poème épique L'Iliade qu'Hypnos (le sommeil) et Thanatos (la mort) étaient des jumeaux indissociables.
La confession du poète est clairement exprimée par l'emploi même du mot « confesser ». Connaissant les démêlés de l'auteur avec la religion, il est étonnant de trouver mention de ce verbe à la très forte connotation religieuse. L'auteur l'a sciemment utilisé, pour nous indiquer quel est son vrai but ici ; et ce n'est pas établir une nouvelle vérité sur le sommeil mais bien pour chanter son amour pour la vie. Ici, le sommeil permet de s'abandonner aux plaisirs de l'amour : « Dans ce petit moment, ô songes ravissants ! / Qu'Amour vous a permis d'entretenir mes sens, ». La confession suit cette apostrophe rhétorique, -signalée par l'interjection « ô »- : « J'ai tenu dans mon lit Elise tout nue ». Elise symbolise ici la femme aimée en général mais sûrement également plus. L'auteur étant homosexuel nous pouvons supposer qu'Elise n'était peut-être pas que l'être aimé, mais la vie elle-même. Or la vie est par définition l'opposée de la mort, c'est donc pour cela que le poète dit à la fin : « son portrait [celui d'Elise] ne lui ressemble pas [à la mort]. ».
En conclusion, nous pouvons donc affirmer ici que la nouvelle image du sommeil donnée par le poète lui permet bien de préparer une confession. Et pas n'importe quelle confession mais bien celle de son amour de la vie. Cette nouvelle image s'est construite d'abord par la création d'un interlocuteur, le sommeil personnifié, l'affirmation que le sommeil n'est pas l'image de la mort. Il est au contraire intimement lié à l'Homme et le maintient en vie. Ces éléments lui permettent de mettre en place une confession, préparer non seulement par des jeux phoniques mais aussi par un rejet total des auteurs l'ayant précédé. Et cette confession de l'auteur est celle de son amour pour la vie, que le sommeil lui permet d'apprécier chaque nuit un peu plus.
Nous pouvons maintenant nous demander en quoi ce poème, écrit par un auteur baroque, n'est pas particulièrement représentatif du genre. Il y a en effet quelques jeux phonique, que nous avons relevés, et des répétitions mais pas tellement de richesse du point de vue des images et des figures de style. Mais peut-être est-ce finalement bien cela l'esprit baroque ? Une irrégularité dans le style d'écriture même de tous les poèmes d'un seul auteur.
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