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Illusion Comique, Pierre Corneille, Acte III, scène 9 (vers 911-950)

Par   •  26 Novembre 2017  •  1 757 Mots (8 Pages)  •  1 852 Vues

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menaces de mort, qui sont en réalité plus comiques que redoutables, les réponses de Clindor restent concises et bien réalistes. Il fait une proposition très brève et cinglante comme réplique aux hyperboles lancées par Matamore, lui promettant qu’il sera "bien battu" (v. 924) s’il ne s’enfuit pas en toute hâte. Le valet se moque donc de son maître et concentre le combat dans un monde réel "Sans vous chercher si loin un si grand cimetière, je vous vais de ce pas jeter dans la rivière" (v. 930). Il lui répond en délimitant l’action (opposition mers/rivière) et utilise dans ses répliques seulement deux verbes (battre et jeter), alors que Matamore brasse de l’air en occupant tout l’espace (enfoncer au centre de la terre, jeter au dessus des éclairs…). Matamore est celui qui s’exprime le plus dans ce passage comme d’ailleurs dans toute la scène (26,5 vers, alors que Cindor n’en prononce que la moitié). En faisant parler le plus celui qui agit le moins, Corneille renforce l’aspect purement théâtral du personnage qui n’a finalement d’action que dans le verbe. Son langage et son style marqués d’exagération font de lui un personnage extrêmement codé avec des discours tirés tout droit de la commedia dell’arte.

Dans la deuxième partie de cette scène, Clindor prend l’ascendant sur Matamore et finit par obtenir de ce dernier qu’il lui cède Isabelle. Puisque, Matamore habitué à se cacher cherche toujours les mêmes excuses à sa lâcheté, Clindor se résout à utiliser les mêmes armes verbales que son adversaire. Il emprunte cette stratégie lorsque Matamore sous-entend par deux fois l’arrivée subite des valets et le complot: "Il a donné le mot, ces valets vont sortir" (v. 927) et: "Ils sont d’intelligence, ah tête" (v. 932-3). Il se met à employer le même registre que son maître, en mentant et en exagérant lui aussi: "J’ai déjà massacré dix hommes cette nuit, et si vous me fâcher vous en croîtrez le nombre." (acte III, scène 9, v. 932-3). A ce moment là s’opère un renversement total où au final le valet prend la place de son maître. Matamore lui-même réalise ce changement en déclarant: "Cadédiou, ce coquin a marché dans mon ombre, Il s’est fait tout vaillant d’avoir suivi mes pas." (v. 934-5). Dans un ultime salut, il demande à Clindor de lui demander pardon et de quitter Isabelle. Comme Clindor sait avec adresse utiliser les arguments de son adversaire pour arriver ses fins, il va le provoquer en duel au sujet d’Isabelle. Dos au mur, terrorisé par la perspective de cette confrontation Matamore se résigne. Il aura suffi que Clindor veuille le provoquer en duel pour que, sous prétexte de générosité (en réalité, par lâcheté), il lui cède finalement Isabelle.

De ce duel verbal et psychologique, Clindor ressort en héros. Véritable maître dans l’art de la manipulation, il a été capable de renverser la situation en adoptant une position différente à chaque fois. Comme il a su maîtriser Matamore, il saura se défendre héroïquement au moment de l’action contre son deuxième rival, Adraste, à la fin de l’acte III. Nul besoin d’en faire trop comme son maître; sa seule présence sur scène suffit. Même si dans chaque acte un autre personnage que Clindor a le plus long temps de parole, il reste le plus présent sur scène. Il a même le premier rôle dans la pièce puisque Corneille nous raconte l’enquête d’un père à la recherche de son fils. Alors que le rôle de Matamore se cantonne à celui du fanfaron (on pourrait même dire qu’il n’est au final qu’un rôle), Clindor joue sur différents registres: il est décrit tout d’abord comme un héros des romans picaresques (acte I), puis comme un valet-parasite (début des actes II et III), un amant romanesque (fin des actes II et III) et finalement devient un acteur professionnel. Clindor maîtrise donc l’art principal du comédien, celui de revêtir des apparences toujours nouvelles. L’inconstance du personnage de Clindor et sa métamorphose tout au long de la pièce renvoie à la description du personnage d’Hylas dans l’essai de Jean Rousset sur le courant baroque. Aussi, cette pièce qui privilégie le mélange de genres fait office de l’une des pièces les plus singulières de ce courant en mettant le théâtre en parade.

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