Commentaire du poème "Green" de Verlaine (du recueil Romance sans parole)
Par Orhan • 8 Novembre 2018 • 2 243 Mots (9 Pages) • 952 Vues
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Au quatrain suivant le poète vient à elle, il « arrive » et est « tout couvert » de « rosée ». Cette rosée montre que le poète a passé du temps dehors et l’adverbe « encore » souligne d’ailleurs la persistance de son état et sa répétition. La rosée indique aussi qu’il la rejoint le matin et qu’il n’a pas pu empêcher la prise des éléments, le « vent » et la « rosée » sont sur son corps. Mais cette « rosée » rime avec « reposée », ce qui l’associe au repos et à la douceur eu égard la douceur de cette rime. Ce repos est celui apporté par l’assurance de la fin de son périple, il retrouve enfin sa dame en laquelle il trouve son locus amoenus. L’homme apparaît amoureux, souffrant de l’absence de l’être cher et pressé de le trouver. S’impose alors l’image du retour de l’époux prodigue, qui apporte amour et protection d’après la première strophe et celui de l’homme qui fait tout pour retourner auprès de l’être aimé tel Ulysse auprès de Pénélope dans l’Odyssée d’Homère. Et une fois face à elle il apparaît dans toute sa beauté puisque la rosée se cristallise sur le front de l’homme. Elle se glace, l’homme n’en apparait que plus impressionnant et beau car c’est l’image picturale et esthétique qui s’impose immédiatement et implicitement. Son front est ainsi mis en valeur, il est lustré, clair et lisse. Il est alors comparable à Ulysse transformé et sublimé par Athéna.
Le vers suivant tisse encore cette esthétique de l’homme galant, éreinté et aspirant au repos comme l’Ulysse de Joachim du Bellay. « Souffrez » impose, dès le début de ce vers, un signe de soumission et de supplication de la part du poète d’après son mode impératif. La position suppliante est relayée par l’offrande aux « pieds » de la femme et la politesse avec laquelle il s’adresse à elle en utilisant respectueusement la deuxième personne du pluriel. D’autre part le mot « fatigue » apparaît et confirme l’état dans lequel est l’homme. Etat déjà suggéré par le rythme saccadé, marqué par de réguliers points, depuis le début du poème. Cependant la fatigue est personnifiée puisqu’elle est le sujet de « rêve des chers instants qui la délasseront » ce n’est donc pas l’homme qui espère le repos mais le corps fatigué. Et le verbe délasser est, par rapport aux sonorités, égal au verbe délacer. Cet homophone indique plutôt le délaçage du corset de la dame et aussi, couvert par cette ambiguïté, le possible acte sexuel qui s’ensuivra et que la « fatigue » attend. C’est donc la fatigue, qui attend cet accomplissement et non l’homme lui-même. L’homme n’attend alors plus qu’une libération physique plus que l’union amoureuse idyllique que le poète laissait paraître. Verlaine joue, et il dépasse ces topoï tout en semblant s’y conformer. Le poème change ici de thème, aux topoï modernisés succèdent l’utilisation d’expressions suggérant l’érotisme et la mise à mal des topoï. Verlaine semble jouer aussi avec la forme car les deux vers revêtent la forme d’une volta.
Dans le dernier quatrain, le poète sacralise encore la beauté de cette femme, son sein est « jeune », mais l’antéposition de « sur votre jeune sein », plutôt que donner de l’importance au support, en accorde à l’enjambement suivant, facilité par la place de ce complément circonstanciel. « Laissez rouler ma tête / Toute sonore encore de vos derniers baisers » est donc l’élément le plus important et ici la neutralité de l’expression impose une certaine ambiguïté quant à la raison de ces roulements de tête qui peuvent signifier à la fois le plaisir et l’impatience. Le poète laisse volontairement un voile d’ombre sur cette révélation et se distingue ainsi en impliquant l’imagination de son lecteur. Une image, peu romantique, se détache pourtant derrière une apparente scène amoureuse et tendre avec l’impératif « laissez ». Sa demande revêt finalement l’apparence d’une supplication et l’homme cherche à échapper aux baisers de sa dame en s’éloignant de ses lèvres et atteignant son sein. Ces récents baisers sont nombreux et bruyants et vont jusqu’à résonner dans sa tête « toute sonore ». L’enjambement ajoute de la rapidité à l’action et l’enchainement mime finalement la célérité avec laquelle le poète tente de fuir ces élans d’amour en roulant la tête. Et cette « tête » est aussi le lieu de la raison, le poète n’est donc pas aveuglé par la passion.
Il reprend ensuite ses supplications, et ce vers est une explicitation du précédent « Laissez-la s’apaiser de la bonne tempête ». Les vers révèlent de cette strophe révèlent crescendo la teneur du poème en s’écartant progressivement des topoï. Verlaine dévoile de façon elliptique l’accomplissement de l’acte sexuel attendu et déjà suggéré à de nombreuses reprises de manière implicite tant par la succession des rimes féminines et masculines évoquant la succession des corps lors de l’amour que par les expressions équivoques. La réunion des corps est « la bonne tempête », cette métaphore couvre d’un voile pudique son action qui n’est alors que sous-entendue. La « bonne tempête » est de plus un oxymore qui rend compte à la fois de la violence de l’ébat et du plaisir qu’en a tiré le poète. Le plaisir n’est autre que physique, bien loin de l’amour pur de la tradition courtoise et le poète n’aspire alors plus qu’à dormir. Aspiration qui n’est d’ailleurs pas certaine eu égard l’utilisation du subjonctif « que je dorme », en outre l’ajout de « un peu » prouve que son repos ne sera pas complet. Cet adverbe suggère un départ rapide comme l’était déjà son arrivée auprès de sa dame. Ces deux derniers vers sont une chute de part le renversement complet de la situation, chute semblable au concetto d’un sonnet. L’homme a exécuté ses désirs charnels sans réel amour et sa seule envie pressante est alors de reprendre des forces pour pouvoir bientôt repartir. Verlaine traite un côté prosaïque de l’amour en détournant les topos et en utilisant finalement les mêmes procédés poétiques améliorés par son génie.
Verlaine fait se succéder les topoï en usant des procédés poétiques pour les moderniser, il contrôle l’ordre, les sonorités mais aussi oriente l’imagination du lecteur en suggérant ces topoï. Il montre son habileté en se détachant de l’univers de l’élégie, dans lequel il se distingue pourtant, en dénudant un aspect plus prosaïque de l’amour. Et il rit de l’élégie en laissant transparaître des allures de sonnet et en ridiculisant presque la plainte élégiaque. Finalement Verlaine joue sur l’équivoque en s’appuyant sur
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