Vendredi ou les lymbes du pacifique, étude
Par Ninoka • 2 Décembre 2018 • 1 357 Mots (6 Pages) • 544 Vues
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une autre manière de poursuivre la réflexion sur le sujet : le bonheur de Robinson, au fur et à mesure qu’il abandonne son statut d’homme occidental, qu’il laisse Vendredi le transformer en homme de la nature, ses pensées sur ce que constitue Vendredi pour lui, permettent d’offrir un contrepoint à la première partie du roman. Dès le lendemain de l’arrivée de Vendredi, il recouvre la faculté de rire (p. 154).
Sa relation avec Vendredi reproduit dans un premier temps, en quelque sorte, sa solitude : Vendredi est lui-même, puisque totalement soumis. Aucun échange réel n’existe (rappel du début de l’extrait du Discours de Césaire). Vendredi est une prolongation de lui-même : « c’est moi tout entier qui agis et pense en lui » (p. 163).
Puis il le considère comme un frère, s’étonne d’avoir « pu vivre si longtemps avec lui, pour ainsi dire sans le voir » (p. 239). Il est pour Robinson « toute l’humanité rassemblée en un individu » (p. 239). Vendredi ressent aussi cette « soif de l’humain » (p. 240) en vivant aux côtés de Robinson : il ne peut non plus vivre seul.
Il est à noter que si la relation humaine est évoquée comme nécessaire, celle que Robinson et Vendredi ont instauré est supérieure à celle de la rencontre avec l’équipage du navire à la fin : p. 250, Robinson note que cette rencontre constitue pour lui « une redoutable épreuve ».
b) Qui est « primitif », qui est « civilisé » ?
Le choix de Tournier de ces deux personnages repose en partie sur leur opposition traditionnelle dans l’imaginaire occidental : il est ainsi évoqué « l’antagonisme souvent décrit entre l’Anglais méthodique, avare et mélancolique, et le « natif » primesautier, prodigue et rieur » (p. 200). Cependant Tournier souhaite dépasser cette oposition, ces images clichés.
Vendredi, le « primitif » :
- La présentation physique de Vendredi, quand Robinson le rencontre, le relie à l’image traditionnelle du « sauvage » : il est nu, noir de peau (p. 151). Le narrateur oppose clairement à ce moment de la rencontre cet « homme noir et nu », qui cherche à « poser sur sa nuque le pied » de Robinson, et l’« homme blanc et barbu […], la tête couverte d’un bonnet de fourrure et farcie par trois millénaires de civilisation occidentale » (p. 152).
- Ainsi, le regard de Robinson sur son compagnon, est d’abord marqué par le regard occidental de l’époque : Vendredi est « au plus bas degré de la condition humaine », appartient à une de « ces races inférieures » (p. 155), ajoutant qu’« un sauvage n’est pas un être humain à part entière » (p. 156). La primitivité supposée de Vendredi est celle que le racisme de son époque attribue aux populations lointaines et exotiques. Robinson va même jusqu’à penser une proximité entre Vendredi et les animaux (p. 182 : « Il est de plain-pied avec eux »), rappelant certains discours tenus pendant des siècles. Il le qualifie de « nègre » (p. 188).
- Répondant à une vision traditionnelle de ces populations, Vendredi ne se soucie pas du quotidien. Il n’a pas l’idée de partir à la recherche de Robinson, disparu pendant la nuit (p. 167). Il ne participe aux cultures, à l’élevage que parce que Robinson le lui demande : cela n’a aucune valeur pour lui. Il rappelle de ce fait une vie de cueillette et de chasse de certaines tribus. La vision insouciante de Vendredi, à l’instar d’un enfant (les indigènes ont parfois été considérés par les colons européens comme de grands enfants), apparaît de temps à autre : il est désigné comme un enfant par Robinson (p. 164) ; il vide la rizière de son eau pour sauver Tenn puis s’éloigne : « L’idée que la récolte de riz était perdue ne l’avait pas effleuré » (p. 172).
- Vendredi est proche de la nature, par ses connaissances sur le milieu local : voir son apparence quand il se déguise en « homme-plante » (p. 175). Il a une complicité innée avec les animaux (p. 176),Tenn par exemple.
Robinson métamorphosé par Vendredi :
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