Louise Labé, sonnet 14
Par Ninoka • 15 Juin 2018 • 1 572 Mots (7 Pages) • 3 166 Vues
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- Vers 1 à 9 : Désir de vivre
A travers ces vers, il s’agit d’un état ambigu qui mélange de sentiments contradictoires. D’un côté, il apporte du plaisir et de la joie : « l’heur passé» évoqué au vers 2, puis les motifs musicaux aux vers 5 et 6 avec « cordes tendre du mignard luth… grâces chanter » [je suis pas sûr]. De l’autre côté, nous pouvons relever dans le premier quatrain la présence d’un lexique se lie à la douleur avec « larmes épandre » (v.1), « A l’heur passé… regretter » (v.2), les « sanglots » et les « soupirs » (v.3). on voit l’idée que la souffrance fait partie intégrante de l’amour. Par ailleurs, l’hyperbole utilisée au vers 8 (« De ne vouloir rien fors que toi comprendre »), ainsi que la négation du vers 9 (« Je ne souhaite encore point mourir ») permettent de dévoiler le caractère intense et exclusif des sentiments. La césure enjambante du monosyllabe « rien » à laquelle Labé impose au vers 8 - tandis que dans les autres vers, la césure se trouve à la quatrième syllabe – donne plus d’accentuation au mot en question et vient ainsi souligner l’exclusivité de l’homme aimé. De plus, cet amour se manifeste tout d’abord à travers le corps : les « yeux » (v.1), la « voix » et la « main » (v.5). Enfin, du vers 1 à 9, la poétesse prépare l’arrivée de la deuxième partie dans laquelle le sonnet change de ton. Il ne sera plus question de « pouvoir aimer » et donc rester en vie ; il s’agira d’invoquer la mort.
- Vers 10 à 14 : désir de mourir
Le vers 10 introduit une nouvelle subordonnée temporelle avec « quand » qui est lui-même appuyé par la conjonction de coordination « mais ». Si le futur de l’indicatif montrait dans la première partie que la poétesse envisageait bien un avenir, son emploi dans la deuxième partie renvoie à la mort, la vie n’aura plus aucun sens car l’amour sera fini. De plus, il forme une rime suffisante avec « amante » (seul endroit du sonnet qui permet d’affirmer que c’est bien une femme qui s’exprime ici) ce qui permet de faire le rapprochement entre impuissance et amour. D’un autre côté, si dans les quatrains le privilège était accordé aux verbes, il faut noter que dans cette deuxième phrase la poétesse donne plus d’importance aux adjectifs avec « cassée… impuissante » (v.11), « mortel » (v.12) et « plus clair » (v.14), par contre, il n’y qu’un seul adjectif -« mignard » -dans les neuf premiers vers. Labé reprend les quatre éléments de la première partie : c’est ce que l’on appelle un sonnet « rapporté ». Or, cette fois-ci, ses « yeux » secs, sa « voix cassée » et sa « main impuissante » traduisent sa dépression physique, qui est suivie de la dégradation à un niveau supérieur et plus mental aux vers 12 et 13 où « son esprit… ne [peut] plus montrer signe d’amante ». Y a ce mot « esprit » ici. Pour exprimer la mort, elle se dégage également des allitérations en [r] : « sentirai tarir… esprit en ce mortel séjour… montrer… prierai la Mort noircir mon plus clair jour ». Il convient d’ailleurs de signaler que Louise Labé personnifie la Mort avec un grand M. D’un autre côté, il est à noter que dans les tercets, elle n’utilise plus que les pronoms personnels et adjectifs possessifs de la première personne, elle ne s’adresse plus explicitement à l’être aimé. C’est comme si cette Mort venait donc remplacer celui à qui le message était destiné, le « toi » des deux premières strophes, cet amour perdu. Enfin, la deuxième phrase marque la chute du poème qui contient une oxymore –vers 14« noircir mon plus clair jour » - qui met clairement en évidence le désir de la poétesse de mourir lorsque l’amour aura disparu.
- Conclusion
Ce qui compte pour la poétesse, c’est non seulement aimer, mais l’exprimer. ce qu’il faut voir derrière ce sonnet, c’est que ce n’est pas tellement l’amour qui fait vivre la poétesse, mais plus exactement la possibilité de l’exprimer, de le chanter et donc de s’exprimer soi-même. L’amour est important pour Louise Labé dans le sens où il représente pour elle une grande source d’inspiration et que même les larmes et la souffrance qui peuvent y être associées lui permettent de composer des vers. Si elle n’aime plus, elle ne pourra plus créer, et à ce moment-là elle compose des vers et préférera mourir.
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