Lecture analytique Ronsard, Quand vous serez bien vieille
Par Matt • 17 Mai 2018 • 1 543 Mots (7 Pages) • 820 Vues
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fin de la vie d’Hélène, à qui il ne reste que les regrets (« regrettant mon amour »).
B – L’injonction du poète : vivre le moment présent
Alors que tout le sonnet « Quand vous serez bien vieille » est écrit au futur, les deux derniers vers sont à l’impératif (« vivez », « n’attendez », « cueillez »).
Cette rupture crée un effet de chute, de morale, avec les impératifs qui ont valeur d’injonction : il faut vivre le temps présent, c’est-à-dire accepter les avances de Ronsard.
Cette injonction (« n’attendez à demain », « cueillez (…) les roses de la vie ») fait écho au carpe diem (« cueille le jour ») du poème d’Horace, qui invite à profiter du temps présent. Cette devise est souvent associée au symbole de la rose, métaphore de la brièveté de la vie, car elle se fane très vite.
C – Une argumentation persuasive
Ce sonnet pour Hélène est une tentative de persuasion. Ronsard s’adresse directement à Hélène, comme l’indique le jeu des pronoms (je/vous).
L’argumentation tient en trois phases :
♦ Ronsard peint d’abord le tableau de la morne vieillesse d’Hélène (deux quatrains);
♦ Puis il établit un parallèle entre sa situation et celle de son interlocutrice (« Je serai sous la terre »/« Vous serez au foyer »).
♦ Puis vient la chute finale des deux derniers vers, soulignée par l’opposition entre l’avenir annoncé du premier vers (« quand vous serez vieille ») et le présent mis en évidence par la locution adverbiale « dès aujourd’hui » du dernier vers.
On peut ainsi lire ce sonnet comme une provocation argumentée : par ce portrait cruel, Ronsard chercher à faire réagir Hélène, à lui faire voir les avantages de la cour qu’il est en train de lui faire pour qu’elle ne regrette pas de l’avoir dédaigné.
Transition : Cette morale épicurienne de l’instant présent se met donc au service de la cour amoureuse de Ronsard à Hélène.
Mais ce sonnet, par sa projection dans le futur, rappelle également le pouvoir de célébration de la poésie, qui rend ses sujets immortels.
III – Le pouvoir de célébration de la poésie
A – Célébration de la beauté fugace
La rose n’est pas seulement le symbole de la vie : elle est aussi métaphore de la beauté, qui elle aussi se fane rapidement.
Ainsi, la beauté d’Hélène n’est évoquée que comme une chose passée, à l’imparfait : « Du temps que j’étais belle ».
L’adjectif « belle », qui rime avec « chandelle », autre objet éphémère, trouve un peu plus loin une autre rime : « immortelle ».
Ce jeu de rimes souligne l’objectif double de Ronsard :
♦ D’une part, il cherche à faire comprendre à Hélène le caractère fugace de sa beauté, qui finira par se flétrir (ce qui est une forme de provocation) ;
♦ D’autre part, il la célèbre et la rend ainsi « immortelle ».
B – Célébration du souvenir de la femme aimée
Le recueil est intitulé Sonnets pour Hélène : elle est à la fois destinataire et inspiratrice de ces poèmes.
Dans ce poème, bien que son nom n’apparaisse pas, elle est son interlocutrice, le « vous » du sonnet.
Ronsard lui rend hommage, et Hélène elle-même le reconnaît dans le poème : « Ronsard me célébrait ».
Le souvenir de cette célébration dure dans le temps : alors même que Ronsard est mort, Hélène se souvient de cette cour, et la servante se réveille et bénit le nom d’Hélène en entendant celui de Ronsard : il a ainsi assuré la célébrité de sa bien-aimée.
La poésie, contrairement aux corps physiques, résiste au temps et permet à ses sujets d’accéder à l’immortalité : c’est une faveur que Ronsard fait à Hélène.
C – Célébration du poète immortel
Ronsard met en scène un avenir où il n’est plus mais où tout le monde se souvient de lui, que ce soit les destinataires du sonnet (Hélène) ou leurs domestiques (la servante).
La seule évocation de son nom (« au bruit de mon nom ») suffit à tirer la servante de son sommeil et à se lancer dans les louanges de sa maîtresse (« Bénissant votre nom de louanges éternelles »).
Hélène elle-même, prenant la parole dans le poème, le fait en exprimant son admiration pour celui qui l’a tant aimée (« Ronsard me célébrait »).
Ce procédé permet à Ronsard de parler de lui-même à la troisième personne, signe d’orgueil et de conscience de son propre talent.
La poésie n’immortalise ainsi pas seulement son sujet mais aussi son auteur, comme l’illustre ce poème dans lequel la qualité de l’œuvre provoque l’admiration pour le poète.
Conclusion :
Ce sonnet se distingue d’autres poèmes amoureux par la stratégie paradoxale qu’adopte Ronsard : il peint un portrait négatif de sa belle tout en se mettant lui-même en valeur, pour la persuader de se laisser séduire.
Ainsi, la projection dans un futur où Hélène est vieille, ridée et pleine de regrets est destinée à la convaincre de profiter de l’instant présent… en sa compagnie, lui qui est si connu et talentueux.
Mais Ronsard rappelle également à son lecteur l’extraordinaire pouvoir de la poésie, qui rend immortels à la fois le sujet et l’auteur en les faisant passer à la postérité.
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