La peur est désormais susceptible d'élargir la rationalité
Par Andrea • 3 Septembre 2018 • 1 593 Mots (7 Pages) • 691 Vues
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Désormais, les médias en font commerce et alimentent les colonnes des journaux ou les émissions télévisées grâce aux développements de faits souvent montés en épingle pour retirer le plus possible de profit. Ils exploitent le catastrophisme en pratiquant de constantes extrapolations à partir de réels sujets d’inquiétude. Ils entretiennent l’angoisse au sujet du vaccin de la grippe A, par exemple, au lieu d’inciter les populations à réfléchir sur les moyens existants de se protéger d’une grippe inconnue. Exploitant le potentiel de terreur lié au nucléaire ou aux organismes génétiquement modifiés, les médias ont tout intérêt à donner la parole à des scientifiques qui s’expriment comme des prophètes de l’apocalypse; ils rivalisent ainsi avec les films de science-fiction qui attirent les foules et dont 2012 est une illustration récente. Or, le discours du désastre conduit au fatalisme plus qu’à l’action: on refuse d’envisager que les recherches sur les OGM puissent receler un quelconque intérêt; on rejette le nucléaire, etc. La terreur paralyse le progrès.
La peur panique de l’autre et la culture de l’angoisse s’avèrent incompatibles avec la prise de décisions à l’échelon mondial qui seules permettront à l’humanité de progresser. Un climat de terreur est souvent malsain. Il vaut mieux éviter le catastrophisme car, à l’inverse de ce que pensent certains intellectuels comme Jean-Pierre Dupuy, il n’est pas toujours éclairé. Il s’avère, en effet, difficile de maîtriser les effets de l’angoisse, qui se développent de manière exponentielle, en dehors de tout contrôle. Il paraît difficile de distinguer une peur contemporaine «éclairée» réservée aux intellectuels d’une panique populaire, qui, une fois, déclenchée, échappe à toute emprise.
Dans quelque domaine qu’on l’envisage, le développement humain doit s’accompagner d’une réflexion sur les dangers que l’humanité choisit d’affronter et non de subir, par aveuglement ou impuissance intellectuelle. Ce n’est pas en développant un climat de panique générale que les pays pourront adopter des mesures à long terme. Le rapprochement des civilisations se fera sur la base de constructions positives, du partage et de valeurs communes inspirées par le sentiment d’humanité. A quoi servirait que quelques pays observent, par exemple, des contraintes strictes pour ne pas polluer alors que d’autres achèteraient le droit de tout dévaster ? Le principe de précaution ne peut être efficace que s’il est utilisé par une humanité réconciliée avec elle-même.
Alors que, à l’origine, l’humanité réagissait de manière primaire devant un danger, par la fuite ou la violence, de nos jours, elle ne peut pas se représenter le risque encouru en construisant des centrales nucléaires par exemple. Le principe de précaution consiste à anticiper les effets probables de telle ou telle mutation génétique induite par une manipulation expérimentale. Désormais, pour progresser, l’homme doit prendre des risques calculés: c’est le principe de précaution car il est impossible de prévoir avec précision les retombées de certaines actions affectant le climat ou l’écosystème. Le risque zéro n’existe pas. Ainsi, à l’échelon collectif, la construction des avions ou l’exploration de l’espace ont coûté la vie à de nombreux aventuriers. De nos jours, nous continuons à prendre l’avion, en dépit des accidents, très visibles mais en réalité peu fréquents et moins meurtriers que les accidents de la 14 route. Notre raison s’appuie sur des statistiques mais, dans l’avion, notre inconscient, lui, vérifie la fermeture des portes et la place des gilets de sauvetage.
La conscience éclairée du danger a permis à l’Homo sapiens sapiens de se développer depuis la nuit des temps. Il faut, à présent, qu’il sache sinon contrôler du moins anticiper les risques auxquels il s’expose. C’est faute de savoir se représenter de manière concrète les dangers de l’alcool ou de la drogue que les jeunes gens sombrent dans l’éthylisme ou meurent d’une overdose. A l’inverse, la peur contemporaine ne saurait s’assimiler à une terreur panique: il faut aussi apprendre à la contrôler. Là se trouvent peut-être les valeurs de l’homme moderne. Grand humaniste de la Renaissance, Montaigne commence à écrire ses Essais pour exercer son jugement, apprivoiser ses peurs, l’angoisse du néant et de la perte de conscience. Il assimilait la philosophie à un art de vivre dans l’accoutumance à la mort.
La pédagogie par la panique n’a pas plus d’efficacité que le management par la terreur. Néanmoins, sans être outrée, la conscience du danger est constitutive de l’humanité: en affrontant les périls, elle a pu les dominer et se créer. Ainsi conçue, la peur ouvre la voie à la réflexion critique dans le respect de l’humain: comme l’affirme Alexandre Lacroix, elle peut être conçue comme un ressort de la raison dans la mesure où elle ne la déborde pas mais concourt à l’équilibre dynamique des forces intellectuelles et des puissances imaginaire
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