Exposé sur les représentations mythiques du Bonheur
Par Junecooper • 2 Mai 2018 • 2 036 Mots (9 Pages) • 405 Vues
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C’est aussi au milieu du XVIIIe siècle qu’Adam Smith met le bonheur au cœur de sa réflexion sur l’économie. « Il y a dans la nature de l’homme des principes qui le conduisent à s’intéresser à la fortune des autres et qui lui rendent nécessaire leur bonheur, quoi qu’il n’en tire rien d’autre que le plaisir de les voir heureux », écrit-il en 1759 dans sa Théorie des sentiments moraux. Selon le père du libéralisme économique, connu surtout pour son traité sur la Richesse des nations (1776), c’est la prospérité économique et la libre concurrence qui représentent les voies d’accès au bonheur collectif des peuples.
Dans ce siècle qui couronne la raison, naît la croyance dans le progrès (scientifique, social, politique, économique) qui rendra heureux les humains « meilleurs et plus heureux », selon l’expression de Turgot. Pour certains, le bonheur est une question d’arithmétique. Ainsi Jeremy Bentham (1748-1832) met le bonheur en équation : c’est le résultat d’une simple soustraction de la somme des douleurs à la somme des plaisirs. Et cet apôtre de l’utilitarisme propose au législateur une série de facteurs à prendre en compte pour assurer concrètement « le plus grand bien du plus grand nombre ».
Une chose est sûre, la recherche obsessionnelle de la vie heureuse préoccupe les esprits, et sera, à terme, le moteur de la Révolution Française.
B - Le Bonheur au XXe siècle
Les représentations mythiques et utopiques du XXe siècle peuvent être assimilées à un raz de marée hédoniste. On aurait pu penser que le XIXe siècle, industrieux, préoccupé de travail et d’enrichissement, avait éradiqué l’idée de bonheur. Les philosophes le méprisent, les poètes romantiques cultivent la mélancolie et les romanciers préfèrent décrire les souffrances endurées dans ce bas monde. « Si l’on bâtissait la maison du bonheur, la plus grande pièce serait la salle d’attente », résume Jules Renard.
Pour être heureux, il faudra donc attendre… Un peu, car forte de ses avancés, la société industrielle va faire ressurgir les croisades pour le bonheur. Durant la Belle Epoque, il prend le visage du progrès dont commencent à profiter des classes moyennes de plus en plus nombreuses : celui des techniques (électricité, téléphone, automobile, aéroplane, cinématographe), de la consommation (les grands magasins, la naissance de la mode, l’attrait de l’American way of life), le début des loisirs (les guinguettes, les bistrots…).
Après le tragique épisode des deux guerres mondiales et de leurs souffrances extrêmes, le bonheur des années 1950-1960 est fait de croissance économique, et de bien-être matériel (plein emploi)… C’est aussi la naissance de la civilisation des loisirs, avec la réduction du temps de travail, et le partage du gâteau social.
Cette conception est cependant fortement contestée par les premières générations du Baby-boom qui juge ce bonheur étriqué et médiocre. Contre cet idéal « petit bourgeois », le mouvement de mai 1968 et les années 70 qui s’ensuivent sont ceux de la libération des mœurs et de la sexualité. Ceux aussi de la renaissance des utopies communautaires, pratiquées dans le Larzac ou dans les appartements parisiens. Et à l’instar de celles qui les ont précédées, elles vont s’éteindre comme des feux de paille.
A la fin du XXe siècle, quoi qu’il en soit, le programme des Lumières s’est entièrement réalisé : « La sécularisation du monde est allée de concert avec la sacralisation du bonheur ici-bas », écrit le philosophe Gilles Lipovetsky, qui montre aussi comment le capitalisme va récupérer à son profit ces idéaux, et l’accomplissement de soi devenir le « but suprême de nos sociétés démocratiques ».
Depuis les années 1980, on ne compte plus les ouvrages de philosophie, de psychologie, de sociologie, et d’économie consacrés au bonheur, aux façons de le mesurer, aux manières d’être heureux… Il n’y a pas jusqu’aux émissions de télévision, sites Internet, stages de développement personnel, et même des « pilules du bonheur », qui ne distillent des recettes pour être heureux. « Le bonheur s’est imposé et n’est plus considéré comme égoïste, mièvre et vain », nous dit Rémy Pawin, qui montre les étapes de cette conversion depuis les Trente Glorieuses.
C –(Ouverture) La poursuite du bonheur, caractéristique des sociétés occidentales.
Le bonheur, tel qu’on nous le renvoie depuis les Trente Glorieuses et l’avènement de la société de consommation, est celui de la possession et de la marchandisation. Aujourd’hui, le bonheur est à vendre. Il est particulièrement lié à la situation économique mais on s’aperçoit aussi que nous atteignons les limites d’un modèle qui privilégie l’avoir à l’être.
Notre civilisation vit une crise majeure : économique, financière, écologique... Tout se combine. La logique de possession ne peut plus fonctionner dans une situation de fort chômage, de précarité et de marginalisation des individus.
Le bonheur est une construction sociale. Il est l’objet d’une représentation qui varie selon l’Histoire et les civilisations. La poursuite du bonheur est intimement liée à l’aventure des idées occidentales. Elle se caractérise par un passage de témoin, de Dieu à l’homme, qui intervient lors de la période humaniste, au XVIe siècle. Ce dernier se substitue alors à Dieu comme référent du monde.
Comme l’écrit Rabelais dans Pantagruel, l’homme devient un géant. ll se découvre lui-même et goûte à la sensation d’exister. Le bonheur est quelque chose d’universel, un sentiment de plénitude. S’enchanter du monde en allant à la rencontre d’autrui. Mais le fait que le bonheur est l’objet d’une poursuite, soit individuelle, soit collective, elle est liée à la société occidentale.
Il y a toujours une nostalgie qui consiste à embellir le passé au détriment du présent, avec le piège de désespérer de l’avenir. Lorsqu’il y avait des périodes de plein-emploi, sans doute y avait-il un plaisir de vivre plus grand. Mai 68 a également été une période de «fusion heureuse». On avait le sentiment que l’utopie redevenait possible. Toutefois, à l’époque, le bonheur était loin d’être accessible à tout le monde.
Si on remonte plus loin, les témoignages emblématiques des voyageurs anglais du XVIIIe siècle ne concernaient que les classes aristocratiques. La situation d’un paysan au Moyen Age n’avait rien d’extraordinaire. Tandis que ce qui caractérise
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