Crépuscule, Victor Hugo
Par Junecooper • 28 Octobre 2018 • 1 631 Mots (7 Pages) • 525 Vues
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vivez ! ? on a froid sous les ifs ; v.12 Soyez heureux ? pendant que nous sommes pensifs ; v.17 Les mortes d’aujourd’hui ? furent jadis les belles (à noter le chiasme qui renforce l’opposition) ; v.27 Les prières des morts ? aux baisers des vivants.
L’amour est perçu dans une dimention charnelle et est associé au bonheur, à la beauté et à la vie ; alors que la mort est marquée par un caractère nostalgique et lugubre. Cf pensifs, v.12 ; on a froid sous les ifs , v10 ; frissonne, v. 2 (Notez les allitérations en [f] et le rejet du v.2 qui soulignent ce caractère funèbre).
3°. Un poème mystique
Mais ces touches de sensualité ne doivent pas masquer la dimention essentielle du poème : son caractère spirituel et mystique.
a) Mystère de la nature
Le mystère de la nature (évoqué ds la première partie de cette analyse) est marqué par la théâtralité : dévoilement progressif du paysage et du passage de l’ombre à la lumière (strophe 1 : apparaît + Vénus. Strophe 2 : s’éveille). Cette théâtralité est renforcée par la voix impersonnelle qui inviterait (strophe 1) à s’arrêter pour voir et entendre la représentation.
De même, la présence du tissu (suaire aux blanches moires, v.1; blanches mousselines, v.7) peut symboliser un lever de rideau annoncé par un officiant.
Cette théâtralité peut donc nous faire penser aux mystères du Moyen Age qui étaient une succession de tableaux rapportant des scènes religieuses de la vie des saints ou de Jésus; ou aux représentions antiques dans lesquelles le choeur (en général, un groupe de personnes) présentait, avant que la représentation proprement dite commence, le contenu de l’histoire à venir.
b) Parole du poète : parole de prophète
Le mode injonctif déjà évoqué était le mode caractéristique des textes sacrés (Bible), de la parole de Dieu rapportée directement ou par le biais des prophètes.
Ici, la parole de la nature est rapportée par le poète, confondue à sa voix (d’où l’importance du “brouillage” induit par l’absence de ponctuation) : c’est le poète qui est l’intermédiaire entre Dieu et les hommes, qui déchiffre le message de Dieu pour les hommes. Sans lui, le message serait incompréhensible. Cf Fonction du poète, Hugo :
Peuples ! écoutez le poète !
Ecoutez le rêveur sacré !
Dans votre nuit, sans lui complète,
Lui seul a le front éclairé.
Dans Crépuscule, la nuit pourrait alors symboliser le mystère de la création et/ou l’abîme intellectuel de l’homme s’il n’est pas éclairé par la lumière d’un guide spirituel.
c) Un message sacré
Il n’est pas possible de réduire la portée du poème au christianisme dont pourtant étant emprunt Hugo puisqu’il évoque à la fois Vénus, v.4 (= déesse de l’amour dans la religion antique) et Dieu, v.20. De même l’ange du soir, v.26, est une figure ambiguë, à mi-chemin entre Cupidon et l’Archange Gabriel. Quant à l’étoile aux cieux, v.23, elle représente certes l’étoile de Bethléem mais elle est extrêmement sensuelle et vivante (fleur de lumière) ; et le pluriel cieux renvoie plus au paganisme qu’au christianisme ( où le singulier “ciel” est plus courant).
Hugo se fait l’interprète une vision syncrétique de l’amour, entre paganisme et christianisme ( < syncrétisme : Système philosophique ou religieux qui tend à faire fusionner plusieurs doctrines différentes ).
Le message le plus fort du poème est contenu aux vers 15 et 16 : Tout ce que dans la tombe, en sortant de la vie / On emporta d’amour, on l’emploie à prier. L’amour (et non pas l’amour charitable, prôné par le christianisme) est le principe premier de la vie éternelle. Sans cet amour terrestre, il n’est pas possible d’atteindre la vie éternelle. On n’est plus du tout dans une conception chrétienne de l’amour (où l’immortalité de l’âme dépend de sa foi envers Dieu).
Pour Hugo, la vie et la mort ne sont pas séparées et une circulation s’établit entre les deux mondes. Pour lui, “tout vit, tout est plein d’âmes”. Il chante ici l’harmonie du monde : les antithèses précédemment évoquées dans cette analyse sont plutôt à prendre comme des parallélismes (cf le dernier vers, certes en rythme binaire, mais majestueux et fluide).
Si Crépuscule reprend des thèmes chers au Romantisme, comme la nature omniprésente, inquiétante ou protectrice, il n’en reste pas moins un poème qui n’a rien de purement descriptif. Il célèbre la vie et l’amour et plus encore une mystique de l’amour.
Hugo, proscrit et exilé à Jersey, est hanté par la mort de sa fille avec qui il essaie de rentrer en communication par le spiritisme. Encore vivant, il est déjà “pensif”, il voit et entend au-delà du réel et ressent profondément “ce que dit la bouche d’ombre”. *
Pour Rimbaud, le poète doit être un voyant, un médium inspiré, et il trouvait cette qualité chez Hugo : chez lui, disait-il, “il y a du Vu”.
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* Ce que dit la bouche d’ombre est
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