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Analyse du discours sur la misère, Victor Hugo

Par   •  30 Décembre 2017  •  4 680 Mots (19 Pages)  •  1 054 Vues

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Ceci nous amène à l’étude des termes évaluatifs ainsi qu’au lexique de l’affect, qui, utilisés à profusion dans ce discours traduisent la passion principale que nous étudions.

- Le vocabulaire de l’affect

S’insère dans le discours de Hugo une partie narrative où priment l’émotion et le malheur. L’orateur a voulu que cet énoncé soit séparé de tout le reste du discours, façon de mettre en relief la réalité la plus poignante. C’est surtout dans cette partie que nous étudierons les champs lexicaux, car il s’agit de la peinture d’un Paris horrible, aux antipodes des idéaux révolutionnaires résumés par « Liberté, Égalité, Fraternité ».

Hugo peint ce tableau à la manière d’un Picasso Guernica : l’accumulation des images, l’apparition de la souffrance et de la mort découlent certes directement de l’indignation de l’orateur mais provoquent surtout un sentiment de pitié, deux passions majeures capables d’agir irrévocablement sur n’importe quelle foule, et que dire d’une foule éplorée et aux prises, elle-même, avec la misère ?

L’accumulation des thèmes hommes, femmes, jeunes filles, enfants(l.21), tous au pluriel, met en relief un « tas » d’êtres humains réduits à l’état d’objets, qui vivent pêle-mêle, dans des conditions inhumaines. Le champ lexical englobant est celui de la dégradation du corps, de l’entropie infects (l.22), fermentation (l.23), fange (l.23), fumier (l.23, immondes (l.30), pestilentiels (l.31), charniers (l.31). Il confère à cette fresque un aspect funeste, c’est le spectre de la mort qui plane sur Paris. À la violence de l’évocation s’associe une sonorité intense exprimée par l’allitération en [f,v], faubourgs, vent, familles, familles, femmes, couverture, vêtements, infects,fermentation, fange, fumier, s’enfouissent, froid (l.19 à 24). L’harmonie imitative effectuée sur les labiodentales traduit le sentiment d’indignation de l’orateur-poète parce qu’il s’agit après tout d’une prose poétique.

Une autre série de termes, montés en gradation cette fois : rues, maisons, cloaques (l.20) amplifie cette vision macabre d’un Paris actuel, de « notre temps » dit l’orateur, un Paris que la révolution avait « soulevé ». À noter l’emploi de l’article défini dans le G.N. « L’émeute » (l.19) qui a valeur de notoriété dans la pensée puisqu’il se réfère à une expérience connue des auditeurs, voire vécue par eux. L’adverbe « naguère » (l.19) met en évidence l’échec de cette expérience : ce qui a été fait « aisément » par la populace parisienne ne lui a été d’aucun service, la révolution (allusion ici à celle de 1848) s’est retournée même contre les plus démunis. L’oxymore créatures humaines[qui ] s’enfouissent renforce cette vision lugubre . Quant à l’épizeuxemort de faim, mort de faim à la lettre, elle s’inscrit dans cette impression générale de malheur qui s’associe à la puissance évocatrice de Paris : Paris du Choléra, des charniers, de la révolte et de la mort.

La caractérisation est marquée par des évaluatifs affectifs tels que douloureux (l.29), immondes (l.30), malheureux (l.25). Ce dernier est antéposé, ce qui reflète la pitié du sujet discoureur.

Cette caractérisation resurgit au dernier paragraphe, dans la partie discours, avec les évaluatifs axiologiques pauvres, honnêtes, bons paysans, bons ouvriers, gens de cœur (l.59-60). L’évolution paraît logique, et c’est là tout l’enjeu du discours : les lexies nominales au pluriel, employées pour parler de l’état des choses, affectées d’adjectifs dysphoriques dans les lignes 19 à 31, sont toujours au pluriel, désignant les mêmes personnes, affectées d’adjectifs mélioratifs, ce sont eux qui sont appelés à l’action, ce sont eux que Victor Hugo veut interpeller plus que les responsables, l’adresse est indirecte mais intense : il s’agit de rompre la collaboration « fatale » entre cette catégorie sociale de braves et honnêtes gens et « l’homme méchant », qui ne serait que le responsable , que le législateur, que le politicien qui voit toutes ces atrocités et ne fait rien. Ce double discours est étayé par l’hyperbole « des lois… qui viennent de toutes parts en aide aux pauvres familles », poétique de l’exagération fortement ancrée dans la tonalité émotionnelle et garantissant une réception favorable chez tous les auditeurs, la foule est emportée par la fougue et l’impétuosité de l’orateur au point qu’elle ne pense plus à chercher ce que « de toutes parts » signifie exactement. C’est justement ce double discours qui nous amène pertinemment à traiter l’instance énonciative et la légitimité du sujet discoureur.

- L’instance énonciative et la subjectivité

La misère ronge Paris, « au temps où nous vivons » dit Hugo. Voilà un « je, ici, maintenant »qui légitime la quête de l’orateur. Quant à la légitimité du sujet discoureur, il la puise au sein de ce « nous » (l.11), l’ancrage social d’un je qui parle au nom de tous les Français, de tous les Parisiens (nos villes, l.58).

L’énonciateur ne se contente pas de ce constat établi intrinsèquement avec ses auditeurs, mais se définit comme locuteur (moi qui parle)(l.25) « complice et solidaire »de cet état des choses. C’est un politicien, donc un responsable, ce qui justifie sa complicité puisqu’il est en mesure de pouvoir changer, et il est solidaire parce qu’il est politicien humaniste et moralisateur. Et c’est là son point fort, il parle au nom de la morale, au nom des droits de l’homme (crimes envers l’homme) et finalement au nom de Dieu (crimes envers Dieu). Il veut que des « lois fraternelles » et des « lois évangéliques » viennent en aide aux pauvres. Ce recours à l’ethos permet au tribun de puiser la force de son discours à la fois dans l’inconscient collectif et dans la conscience des auditeurs qui le considèrent désormais comme un des « leurs ».

Et comme « toute énonciation suppose un locuteur et un auditeur et chez le premier l’intention d’influencer l’autre en quelque manière » selon les mots de Benveniste, il convient d’observer les deux effets illocutoire et perlocutoire.

L’effet illocutoire s’opère au moyen de lexies verbales telles que jevoudrais(l.14-l.6)qui expriment une demande atténuée avec l’emploi du conditionnel puisqu’il s’agit d’une adresse indirecte. L’orateur s’adresse à « tous ceux qui [l]’écoutent » puis à « cette assemblée ». Ensuite, et avant d’utiliser le « vous » du destinataire, il précise

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