Commentaire, le loup et l'agneau, Jean de la Fontaine.
Par Junecooper • 23 Juin 2018 • 1 674 Mots (7 Pages) • 794 Vues
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B) ... aux assertions calomnieuses
Puis il quitte le domaine des préjudices matériels qu'il prétend subir ici et maintenant pour lancer une autre accusation. Elle est formulée d'une façon toujours aussi catégorique par un péremptoire "je sais" mais le Loup n'apporte pas la moindre justification à son affirmation (verbe d’opinion : qui traduit donc sa subjectivité); il quitte désormais le domaine des faits et du présent pour invoquer de prétendues assertions calomnieuses ("tu médis") proférées dans le "passé" : le verbe est conjugué au passé simple et aucune indication de lieu, de date ou de circonstances n’est donnée (v.19). C'est donc ici un délit d'opinion qui est reproché à l'Agneau.
C) Un Loup qui prétexte une conspiration
Les dénégations de l'Agneau ne décontenancent pas le Loup. Il n'abandonne pas le chef d'accusation mais en modifie les circonstances : l'Agneau devient ici, avec ses semblables, l'instigateur d'une conspiration anti-Loup (la conspiration, c'est l'obsession de tous les pouvoirs tyranniques...) dans un drôle de monde à l'envers réinventé par le Loup où les agneaux et les moutons règneraient sur un peuple de "bergers" et de "chiens" - c'est ce que sous-entend la reprise du possessif "vos" du vers 25 et le passage au pluriel... Mais il ne révèle pas ses sources ou ne donne pas ses "indics": il se contente d'une formule indéfinie ("on me l'a dit") Les hypothèses et les rectifications successives que le Loup s'obstine à apporter ("ton frère", "quelqu'un des tiens" ou un membre du prétendu pacte anti-Loup, "vous, vos bergers et vos chiens") ne sont pas le signe que le Loup est aux abois - loin de là. Cette résistance inouïe l'exaspère et ne fait que renforcer son désir d'en finir avec lui. On remarque que c'est lorsque ses accusations sont le plus dénuées de fondement qu'il est le plus catégorique, multipliant les liens de cause à conséquence : cf connecteurs logiques ("donc" à deux reprises, "car") Enfin - comble de la mauvaise foi dans ce monde absurde - pour justifier son crime, le Loup, comme un héros de tragédie, revendique des valeurs aristocratiques : l'atteinte à son honneur, à sa réputation ("il faut que je me venge" v.26). La forme verbale insiste sur la nécessité absolue.
II) L’ARGUMENTATION DE L’AGNEAU
L'argumentation de l'Agneau est à l'opposé de celle du Loup. En nombre de vers, elle équivaut à peu près à celle du Loup mais la répartition des répliques est bien différente. L'Agneau essaie de répondre à trois reprises aux menaces du Loup.
A) Un plaidoyer qui révèle la personnalité de l’agneau
L'Agneau est un être tout d'innocence - ne dit-on pas "doux comme un agneau "? -, de bonne foi et de douceur qui s'exprime sur un ton déférent et respectueux. Le lecteur a d'autant moins de peine à passer du monde animal au monde humain que La Fontaine nous y prépare. Quand l'Agneau s'adresse au Loup comme un modeste sujet à son roi. La première fois que l’agneau intervient (v.10-17), il construit une vraie plaidoirie. Sans agressivité, avec une politesse respectueuse, il s'adresse au Loup à la 3e personne, reconnaît sa toute-puissance cf appellations respectueuses et titres honorifiques ("Sire","Votre Majesté"). Il n'aborde pas la question immédiatement mais essaie de calmer le jeu. Puis, à partir du vers 14, il fait appel naïvement à l'objectivité du Loup pour qu'il reconnaisse que les lois de la physique le disculpent. Il énumère tous les éléments à décharge ("dans le courant", "plus de vingt pas au-dessous") ; il en tire enfin fermement les conclusions, en redoublant le lien de conséquence et les connecteurs logiques ("Et que par conséquent, en aucune façon").Ses dernières paroles : "troubler sa boisson" font écho à l'accusation du Loup ("troubler mon breuvage") et il pense avoir ainsi démontré clairement son innocence.
B) Une vaine protestation d'innocence
Sa deuxième réplique est beaucoup plus courte : deux vers seulement. Peut-être sent-il déjà l'inutilité de sa résistance ? Il donne à sa protestation d'innocence la forme d'une question - sûrement pour ne pas braquer davantage le Loup contre lui. L'impossibilité matérielle lui constitue pourtant un alibi imparable : "je n'étais pas né". Et en rappelant son extrême jeunesse, avec l’adverbe dans l’expression : "je tète encore ma mère" (v.21), il met en avant, implicitement, sa complète incapacité de nuire. Sa dernière réplique, sous la forme de quatre monosyllabes, est à peine esquissée. L'Agneau ne cherche plus à construire son plaidoyer, il perd pied devant les attaques hargneuses du Loup qui lui confisque la parole. Le loup domine l’échange non par la pertinence de ses propos mais par sa supériorité physique : ainsi il provoque l’échange mais choisit aussi de le clore : ce qui signe l’arrêt de mort de l’agneau.
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