Charles Dullin écrit: "La scène est un monde hors du monde". Vous commenterez et discuterez ce point de vue en vous appuyant sur des exemples précis.
Par Junecooper • 12 Octobre 2018 • 3 304 Mots (14 Pages) • 714 Vues
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Pour exemple d'efficacité et de beauté, voici un extrait du Cid de Corneille:
Le comte. — Ce que je méritais, vous l’avez emporté.
Don Diègue. — Qui l’a gagné sur vous l’avait mieux mérité.
Le comte. — Qui peut mieux l’exercer en est bien le plus digne.
Don Diègue. — En être refusé n’en est pas un bon signe3.
Dans cet extrait, la stichomythie met en exergue les arguments conflictuels des deux adversaires, la césure sépare en rythme les deux propos des alexandrins, la langue poétique se met au service des situations fictives de cet univers hors du monde. Elle aussi est hors du monde, elle est le témoin du monde de l'auteur.
La scène avec tous ses aspects, tel un démiurge, crée un univers avec son espace, une temporalité, des êtres en relation ayant des destinées, des histoires à vivre... dont le spectateur est témoin, mais nous allons voir qu'avec ces qualités d'être un monde hors du monde, la scène est aussi un monde qui s'inscrit dans le monde.
Et un des mondes dans lequel s'inscrit la scène est le monde intérieur du spectateur. Les mouvements d'âme montrés sur la scène dans le théâtre en général et voulus intensivement par Montherlant dans ces pièces, ne sont pas sans conséquence sur notre propre intériorité. Nous pouvons d'abord être pris par le rire d'une situation burlesque, comme dans le Médecin malgré lui de Molière, où Sganarelle est bastonné par deux valets sous les conseils vengeurs de Martine, qui a expliqué aux valets qu'il était médecin mais n'avouerait ses talents que sous les coups de bâton. Dans la comédie d'une part, nous sommes "en position de spectateur" selon la citation de Michel Corvin tiré de son livre Lire la comédie, donc un spectateur de la scène, placé hors du monde, et par le rire, la scène s'inscrit dans notre monde intérieur de récepteur.
D'autre part la comédie nous fait rire des défauts humains. Le spectateur en prendrait conscience et se corrigerait en se divertissant comme l'écrit Molière dans la préface de Le Tartuffe. La scène peut alors agir plus ou moins positivement sur notre développement individuel et nos relations.
Nous pouvons aussi être pris par la peur ou la pitié comme dans la tragédie. Dans Horace de Corneille, un des frères Horace se voit contraint de défendre fièrement sa patrie. Après la mort de ses deux frères désignés par Rome et venus combattre avec lui, il tue les trois Curiace désignés par Albe. Ce héros est soumis à un destin tragique, il est marié à la soeur des frères Curiace et tue donc ses beaux frères, puis il tue sa soeur Camille qui lui reproche le meurtre de son fiancé Curiace. Terribles destins et terribles choix.
Si on en croit Aristote, les sentiments éprouvés lors d'une représentation théâtrale seraient bénéfiques pour la cité, d'une part la tragédie montre un homme de haute qualité, digne, en lutte contre une adversité qui le dépasse. Il devient un exemple de noblesse pour les citoyens spectateurs. D'autre part, les sentiments de pitié et de peur éprouvés auraient l'effet de catharsis, de purifier l'âme de ses passions excessives, concepts que l'on retrouve dans la Poétique d'Aristote.
Ainsi le spectateur éprouve des sentiments et ces derniers produisent une activité bénéfique sur lui dans un premier temps, puis l'activité se répand sur l'ensemble de ses actes dans le tissu social. La scène peut s'inscrire ainsi dans le monde, de proche en proche, d'abord par le transfert de son message polyphonique vers son destinataire, puis par les conséquences que le message va produire en tant qu'activité humaine et sociale, dans la vie religieuse ou politique...
Cet univers scénique peut-il aussi s'inscrire dans l'Histoire?
La mise en scène est l'aboutissement d'une pièce de théâtre si on considère le théâtre comme une oeuvre littéraire à contempler, un spectacle vivant. Un historien qui en ferait l'analyse n'aurait pas nécessairement accès à la pièce jouée, surtout si elle date d'avant les enregistrements vidéo. Il lui resterait les textes. Il pourrait y trouver des particularités d'une époque, ses questionnements, sa morale, ses traditions, le milieu où vit l'auteur, peut-être même des éléments significatifs sur la nature d'âme du peuple de l'auteur de l'oeuvre en question. Certes cela ne concerne pas spécifiquement l'oeuvre théâtrale et son élément scénique, mais plus la littérature en général. Mais considérons ce qu'écrit l'historien philosophe du XIXème, Hippolyte Taine, sur la littérature. Il considère la littérature comme un document historique et un outil d'investigation socio historique, le théâtre peut faire l'objet d'une telle recherche. Pour Hippolyte Taine, "faire l'histoire d'une littérature, c'est faire la psychologie d'un peuple", "étudier un grand écrivain, c'est rechercher de quelle façon ses oeuvres expriment et enregistrent les trois forces qui dominent et produisent les individus d'une nation". Propos quelques peu réducteurs, mais ils ouvrent un regard sur ce que peut refléter la scène théâtrale, en tant que reflet d'une nation. L'élément scénique de l'oeuvre littéraire théâtrale peut-être considéré comme inscrit dans l'histoire du peuple d'où elle provient, de ses interrogations, de sa morale... Les vers d'un texte théâtral pourraient faire comprendre les spécificités de l'âme d'un peuple, c'est ce que propose H. Taine dans Le génie gaulois de La Fontaine, texte tiré de son livre La Fontaine et ses fables, il pense avoir saisi les correspondances entre quelques éléments identitaires du Français de cette époque et la structure des vers du poète: "La Fontaine est le seul qui nous ait donné le vers qui nous convient, toujours divers, toujours nouveau, long, puis court, puis entre les deux, avec vingt sortes de rimes redoublées, entrecroisées, reculées, rapprochées, tantôt solennelles comme un hymne, tantôt folâtres comme une chanson. Son rythme est aussi varié que notre allure. Non plus que nous, il ne soutient pas longtemps le même sentiment." Que ressortirait de l'étude des vers des pièces des auteurs classiques du XVIIème par exemple? Observons
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