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Baudelaire - Question d'ensemble sur l'Idéal

Par   •  3 Mai 2018  •  3 273 Mots (14 Pages)  •  634 Vues

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Mais elle est à la fois « douceur » et « poison » (« Le Balcon », XXXIV), si bien que Baudelaire éprouve, alternativement ou simultanément, deux sentiments opposés et complémentaires :

« Folle dont je suis affolé / Je te hais autant que je t’aime ! » (« A celle qui est trop gaie », XXXIX)

Il lui reproche d’être impure, froide et cruelle, telle une « bête implacable », « reine des péchés », « fangeuse grandeur », « sublime ignominie » (deux oxymores éloquents !), dont la « froide majesté » cache mal le cœur « stérile » (voir les poèmes XXII à XXVI, qui constituent un bloc dans cette partie du recueil). Il se reproche d’être dépendant, attaché à « l’enfer de [s]on lit » (XXIV). Cet amour finalement porte la marque de la déchéance, peut-être du péché originel (la femme-serpent) et donne comme un avant-goût du néant : le poème qui suit cette série, « Une Charogne » (XXVII), décrit la décomposition du corps avec un réalisme voire un goût de l’horreur et du macabre.

On trouve même, dans « Mon cœur mis à nu », des jugements plus durs, excessifs, voire orduriers, comme « la femme est naturelle, c’est-à-dire abominable. Aussi est-elle toujours vulgaire », « J’ai toujours été étonné qu’on laissât les femmes entrer dans les églises », « Dans l’amour […], l’entente cordiale est le résultat d’un malentendu. Ce malentendu, c’est le plaisir… », « Nous ne pouvons faire l’amour qu’avec des organes excrémentiels »…

Mais le comble du mauvais goût est peut-être atteint dans cette « fusée » où il est dit qu’il y a dans l’acte d’amour une grande ressemblance avec la torture, ou avec « une opération chirurgicale ».

La communication humaine

Peu attiré par la nature (voir « Obsession », CXVIII), détestant les lacs, les vallons, les grands bois si chers aux Romantiques, Baudelaire reconnaît dans la Ville un milieu humain, créé pour l’homme et par l’homme :

« Ivresse religieuse des grandes villes. Panthéisme. Moi, c’est tous, tous c’est moi. Tourbillon. » (« Fusées », fragment II). Les « Tableaux parisiens » sont une longue promenade dans ce « Paris [qui] change » (« Le Cygne », CXXIV), « fourmillante cité pleine de rêves » (« Les Sept Vieillards », CXXV), « où tout, même l’horreur, tourne aux enchantements » (« Les Petites Vieilles », LXXVI). C’est le lieu de rencontres multiples, la jolie passante « fugitive beauté », qu’on aurait pu aimer (CXXVIII), les aveugles, les vieillards, les petites vieilles, et toute cette foule, « fleuve de vitalité (…) étonnante harmonie de la vie dans la capitale », où le poète, l’artiste ou l’homme du monde « entre (…) comme dans un immense réservoir d’électricité » (« Curiosités esthétiques ». Le peintre de la vie moderne, III). Il y trouve, outre une source d’inspiration très riche, l’occasion de sortir de sa solitude, de s’intéresser aux autres, d’éprouver des sentiments (pitié, curiosité, tendresse) qui le détournent, au moins pour un temps, de son mal de vivre.

Mais bientôt, la ville devient pour lui une prison de l’âme qui détruit ses rêves d’évasion, lui renvoyant l’image de sa propre solitude et de ses démons. Le soir, ce soir charmant qui apporte la paix et le réconfort, « la cité de fange » est le domaine des catins, des escrocs, des voleurs. C’est l’heure où se remplissent les théâtres, les asiles, les hôpitaux, tous les endroits où l’homme cherche à vaincre l’ennui, la maladie ou la misère (voir « Crépuscule du soir », LXXVII).

C’est la victoire du « Spleen » du « Spleen de Paris » sur l’« Idéal ».

Les paradis

Tout d’abord, « les paradis perdus », les seuls vrais selon Proust. La mémoire, qui les conserve engloutit l’authenticité ; le poète ou l’artiste plus qu’un autre, a le pouvoir de les « évoquer », au sens le plus fort du mot (en latin evocare = faire sortir en appelant), c’est-à-dire leur redonner une réalité.

C’est en particulier l’enfance, heureuse avant l’arrivée de l’intrus (Aupick), la maison de Neuilly, la « servante au grand cœur », la mère trop chérie, qui aime et qui trahit, elle qui, la première, éveille la sensualité au double visage, celui de la tendresse et celui du péché. C’est l’innocence de « ce vert paradis des amours enfantines », découvert ou entrevu auprès d’une mystérieuse Agathe (« Moesta et errabunda », LV). Mais l’évocation est illusion, les souvenirs sont rêvés, comme le dit Nerval, et la réalité retrouvée après ces brèves tentatives d’évasion, paraît encore plus noire et plus immonde. C’est aussi une « vie antérieure ». Des poèmes comme « J’aime le souvenir de ces époques nues » (V), « La Géante » (XIX) et bien sûr « La Vie antérieure » (XII) expriment la nostalgie de l’âme, le regret de ces temps où l’homme était libre et heureux, loin de « ce siècle vaurien » (« Idéal », XVI). Mais ces temps n’existent que dans les rêves des poètes, et Baudelaire est attiré, tout autant, sinon plus, par l’action de l’homme (ordre), que par l’état de nature (luxe et volupté).

A ces paradis, qui sont des retours vers le passé, s’ajoutent ceux que l’imagination offre à l’esprit, voyages vers des pays lointains, découverte de sites exotiques, propres à satisfaire à la fois l’envie d’ailleurs et le goût de la paresse, de la volupté, de la douceur de vivre, dans une sorte de pureté retrouvée, que suggère notamment la peinture de Gauguin.

La femme elle-même est tout un voyage, navire, océan, rivage au port, en particulier Jeanne Duval, la « Vénus noire », au « parfum exotique » (XXI), « [veuve] du ciel profond » ou « [sortie] de l’abîme » (« Hymne à la beauté », CVI).

Mais « l’invitation au voyage » (XLIX) qu’inspirent les yeux verts et profonds (« traîtres yeux ») de Marie Daubrun, expriment un appel différent, vers un pays (probablement la Hollande), un pays où l’on trouverait « ordre et beauté », autant que « luxe » et « volupté », le « calme » autant que la passion.

Cette recherche de l’« idéal » est vaine. L’évasion souhaitée n’est possible que « n’importe où hors du monde », en dehors de « cette vie [qui] est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit » (« Le Spleen de Paris », XLVIII).

Pourtant les « paradis artificiels » donnent l’impression que l’évasion

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