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La vielle garde

Par   •  17 Mai 2018  •  1 999 Mots (8 Pages)  •  424 Vues

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Au nombre des déçus, les plus influents sont incontestablement Bernard, Hélène et Lucien. La présence de Bernard dans l’enceinte de la compagnie remonte à sa fondation : il fut l’un des pionniers à mettre sur pied la division Micro-Cosme. Pendant environ deux ans, il a même occupé un poste similaire à celui de Pauline, à titre d’employé permanent, pour ensuite devenir professeur pigiste pour des raisons financières : en effet, hautement spécialisé en gestion des réseaux informatiques et des télécommunications, Bernard est en mesure d’exiger un taux horaire qui dépasse largement le salaire des cadres de l’interne et la rémunération moyenne des autres professeurs. C’est un homme à la mi-trentaine, qui a développé toute son expertise des réseaux de façon autodidacte. Fier et imbu de lui-même, il n’hésite pas à coincer ses interlocuteurs par des discussions hautement techniques et à affirmer ainsi sa supériorité. La nomination de Pauline ne lui a pas plu : quoiqu’il ne désirait pas réintégrer ce poste, il se croit irremplaçable et ne tolère pas l’idée qu’une autre occupe ses anciennes fonctions.

Après avoir été secrétaire pendant de longues années, Hélène s’est lancée dans l’enseignement du traitement de texte exclusivement. Elle ne connaît pratiquement rien d’autre sur le plan technique, mais elle est reconnue comme la meilleure dans le domaine, d’autant plus qu’environ 25% des revenus du Centre puisent leur source à même ce type de cours. La trentaine avancée, c’est une femme extrêmement provocante à la fois dans sa façon de se vêtir et dans ses manières. Elle flirte avec ses étudiants, chemisier transparent, encolure entrouverte, jupe de cuir et bas de résille. Plusieurs clients ont porté plainte eu égard à son comportement et son image est l’une des plus controversées au sein du Centre : on l’adore ou on la déteste. Elle est véhémente, d’approche compliquée et son caractère fait légende par ses excès.

Également au compte du Centre depuis plusieurs années, Lucien est le professeur le plus réservé et le plus discret. Il est devenu progressivement expert en micro-informatique et ce, sous l’égide de Bernard qu’il vénère comme un père spirituel. On ne peut jamais lui demander une faveur à pied levé. Il a besoin de réflexion et de se sentir en pleine possession de ses moyens. Jamais il n’a enseigné un logiciel qu’il ne connaissait sur le bout de ses doigts, aussi ses évaluations s’avèrent-elles littéralement remarquables : on reconnaît toujours sa maîtrise parfaite de la matière et ses méthodes pédagogiques axées sur la douceur, la patience et l’humour discret.

Ces trois professeurs forment donc ce que l’on nomme communément la « vieille garde ». Ils ont une confiance absolue en Claude, seule personne avec laquelle ils veulent transiger. Que ce soit pour l’assignation des cours, l’horaire, la rémunération ou les conditions de travail, ils n’acceptent que ce qui est issu de Claude. La nomination de Pauline ne change rien à cet état de fait pour eux : leur seul supérieur est encore et toujours Claude. Il faut dire que ce dernier est un expert à tous les niveaux : lui seul peut enseigner les quelque 200 cours offerts par le Centre, et il possède dix ans d’expérience en enseignement malgré ses 32 ans. Son haut calibre technique lui attire respect et vénération : personne n’a même déjà songé à remettre ses connaissances en question.

Le reste de l’équipe enseignante se compose de professeurs « généralistes », qui dispensent une formation de base et de niveau intermédiaire sur les logiciels les plus courants. Quoique très motivés et très performants sur le plan pédagogique, ils demeurent limités quant à l’expansion de leurs connaissances. La plupart ne sont pas réfractaires aux changements de l’industrie, étant donné le faible niveau d’ajustement que cela peut exiger de leur part. Plusieurs de ces professeurs ont été recrutés par Claude mais ont vécu le transfert de pouvoirs sans broncher, à la venue de Pauline.

Consciente des disparités de personnalité qui existent au sein de sa nouvelle équipe, Pauline décide donc de ne pas brusquer les choses. Avec le temps, se dit-elle, les professeurs les plus réticents finiront bien par admettre sa compétence et sa crédibilité. Aussi ne ménage-t-elle pas les « relations publiques » : la porte grande ouverte, son bureau semble une invitation perpétuelle où il fait bon discuter et prendre un café. De semaine en semaine, elle gagne définitivement la confiance des généralistes, mais elle n’a pas réussi à attirer les autres. Le premier trimestre s’achève donc sur une note sombre : à l’occasion de l’évaluation de ses performances pour les trois premiers mois, Claude lui souligne son échec du côté des « anciens » :

« Je sais que ce n’est pas chose facile. Mais tu dois comprendre que je t’ai embauchée pour me seconder et me relayer dans certaines fonctions. S’il faut encore que je m’en mêle, je suis mieux de m’en occuper entièrement. Tu devrais te montrer plus dure avec eux, c’est la seule façon d’obtenir le respect. »

Pauline n’en est pas convaincue : à son avis, le respect se gagne progressivement et ne se conquiert pas. Quoique apte à enseigner quelque 80 cours différents, elle ne connaît pas parfaitement chacune des spécialités développées par les professeurs. Ses objectifs à atteindre font toutefois bien mention d’une saine gestion des professeurs et de la qualité de l’enseignement. Comment gérer une telle équipe? Comment parvenir à établir une culture d’entreprise étroitement liée à la qualité tout en ralliant chaque membre de la « vieille garde » sans risquer une troisième guerre mondiale?

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