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Le théatre de la cruauté - Antonin Artaud

Par   •  28 Février 2018  •  1 331 Mots (6 Pages)  •  634 Vues

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Troisième parallèle, de fait : pendant les catastrophes, si certains font des gestes inutiles, d'autres ont des actes atroces. Dans Le Théatre et son double, Artaud fait référence aux pillards qui mettent à sac les maisons abandonnées, mais beaucoup d'autres exemples peuvent venir à l'esprit : ceux qui profitent de la panique pour régler leurs comptes, ou qui profitent de l'absence de règles engendrés par le désordre pour mettre en place des trafics cruels – les orphelins de guerre kidnappés par des réseaux de proxénètes, notamment. Il en va de même pour le théâtre de la cruauté qui, comme la peste, « est la révélation d'un fond de cruauté latente par lequel se localisent sur un individu toutes les possibilités perverses de l'esprit ».

Mais le théâtre ne doit pas en être inculpé. Certes, il fait souffrir l'individu qui est confronté à des parties cachées de son être, mais « si ces forces et ces possibilités sont noires, c'est la faute non pas de la peste ou du théâtre, mais de la vie ». Dans l'oeuvre d'Artaud, cette phrase suit une citation de Saint Augustin tirée de La Cité de Dieu, où le philosophe critique longuement le théâtre qui, comme la maladie, altère l'individu. Selon Antonin Artaud, la souffrance que l'individu ressent ne vient pas du théâtre : c'est la vie qui la lui inflige, la vie telle qu'elle est réellement, sans le poids de la religion, des apparences, des contraintes de la société.

→ Les techniques théâtrales.

Chez Artaud, c'est avant tout la mise en scène qui prime. C'est donc surtout elle qui doit créer la souffrance dans le théâtre de la cruauté. Il ne faut pas oublier qu'Artaud méprise le texte, du moins les classiques, au profit d'un langage désarticulé au sens vague. Selon lui, « il faut parler du côté matériel du langage, c'est à dire de toutes les façons et de tous les moyens qu'il a pour agir sur la sensibilité »; « les mots, au théâtre, doivent être comme des incantations : ils doivent à la fois exalter, engourdir, charmer, et arrêter la sensibilité ». Ils ne doivent donc pas exprimer des réalités sociales que le spectateur connaît, sous leur forme brute, mais ils doivent s'en échapper afin de pousser le spectateur à un sensibilité exaltée, nouvelle.

Et c'est grâce à ce non sens, à toutes ces incohérences qu'il souhaite atteindre la partie du spectateur qui n'a pas de sens, sa partie la plus sombre : « une vraie pièce de théâtre bouscule le repos des sens, libère l'inconscient comprimé, pousse à une sorte de révolte virtuelle ».

Les gestes sont aussi d'une importance capitale dans les mises en scène d'Artaud; cette préférence pour les gestes plutôt que le langage lui venant de sa découverte et de son goût prononcé pour le théâtre balinais, mélange harmonieux de danse, de chant, restes des cérémonies religieuses orientales notamment.

Enfin, pour que le spectateur ne puisse pas revenir à la réalité pendant la pièce, la souffrance qui lui est infligée doit être permanente, omniprésente. C'est ainsi qu'Artaud, dans le cadre d'expérimentations pour le théâtre de la cruauté, crée des mises en scènes où les spectateurs sont plongés dans un bain constant de sons et de lumière qui les agresse et les force à s'évader de la réalité : « les dissonances, au lieu de les limiter à l'emprise d'un seul sens, nous les ferons chevaucher d'un sens à l'autre, d'une couleur à un son, d'une parole à un éclairage d'une trépidation de gestes à une tonalité plane de sons, etc, etc (…) Et de même qu'il n'y aura pas de répit, ni de place inoccupée dans l'espace, il n'y aura pas de répit, ni de place vide dans l'esprit ou la sensibilité du spectateur ».

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