Dossier Exil-Ailleurs
Par Raze • 15 Avril 2018 • 2 763 Mots (12 Pages) • 542 Vues
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Par ailleurs, le paysage que l’on voit au second plan est celui de Marseille. Si l’artiste a choisi d’exposer son œuvre sur le port de Marseille, c’est certainement pour le symbole car c’est une ville d’immigration et d’émigration depuis des siècles. De plus, voir la mer à perte de vue derrière ce voyageur permet de s’imaginer et de prendre conscience du long périple auquel il a dû faire face. On pourrait aussi penser qu’il porte en lui le lieu de son exil puisque le vide qu’il possède donne sur l’horizon.
En outre, Bruno Catalano aurait pu vouloir nous dire à travers le titre de cette sculpture que l’Artiste comprend l’exil comme condition fondamentale de de la création car l’Artiste est souvent une sorte d’apatride, n’appartenant ni à une culture, ni à un pays, ni à une religion. Il erre dans le temps et le monde avec sa boite à dessin ou à peinture comme fidèle et unique compagnon ; son art franchit les frontières sans en posséder lui-même.
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Persépolis, dont la vignette est tiré, est une bande-dessinée autobiographique de Marjane Satrapi éditée par l’Association entre 2000 et 2003 et est constituée de 4 tomes. Dans le premier, l’auteure y décrit sa petite enfance, dans le second sa (pré)puberté dans son pays natal : l’Iran, puis dans le troisième tome elle s’exile, pour revenir enfin en Iran dans le quatrième. Née en 1969, elle connaîtra la chute du régime du Chah due à une révolution populaire, progressivement récupérée par les islamistes. Issue d’une famille aisée elle côtoie quelques années le lycée français de Téhéran et reçoit une éducation laïque. Son oncle, et son grand-père ont donné leur vie pour la liberté et étés contre le régime du Shah. Son père, journaliste, sa mère et sa grand-mère, qui jouent un rôle important dans sa vie, tentent de lui inculquer une ouverture d’esprit et des valeurs progressistes, opposées à celles du nationalisme, et de l’islamisme. Lorsque la guerre se fait plus intense, ses parents décident de l’envoyer en Autriche, seule, afin qu’elle puisse continuer ses études. Alors qu’elle n’a que 14 ans, et ne parle pas un mot d’Allemand, elle devra affronter les difficultés de l’exil, et ce, 4 ans durant jusqu'à une dépression qui la reconduira à son pays natal. La BD retrace dans ce 3° tome ses problèmes, qu’ils soient d’intégration, financiers, ou encore amoureux, mais aussi ses questionnements vis-à-vis d’une culture et des mœurs méconnues.
Marjane côtoie, au lycée français de Viennes, des punks, communauté qu’elle admirait en Iran, et qui y était par ailleurs interdite. Elle fait initialement mine de fumer de l’herbe (annexe), jusqu’à en vendre dans son lycée et en consommer régulièrement. Elle s’intéresse à Bakounine, un révolutionnaire, théoricien de l’anarchisme et philosophe que ses nouveaux copains adulent. En somme, Marjane adopte le mimétisme comme tentative et moyen d’intégration, et ce, comme beaucoup d’adolescents soucieux de leur popularité mais aussi comme nombre d’exilés. Toutefois, le mimétisme ne s’avère pas toujours aussi concluant que ce que Marjane l’aurait cru, par ailleurs cette vignette, extrêmement parlante, montre tout d’abord a travers le texte la difficulté de l’intégration qui réside entre autre dans l’appropriation d’une nouvelle culture, nous séparant/éloignant de la notre et créant un sentiment de trahison envers les siens. En effet, Marjane, en faisant des efforts d’intégration et donc en faisant appel au mimétisme, possède le sentiment de nier sa culture, ses origines. L’image le montre parfaitement et simplement : Marjane fait une sorte de grand écart, symbolisant celui entre sa culture, on devine d’ailleurs la silhouette de ses parents, et la culture qu’elle apprend à connaître en Autriche et plus largement celle Européenne. Elle apparait presque comme une voleuse, marchant sur la pointe des pieds pour ne pas se faire entendre, mais de qui ? Peut être de ses parents, dessinés derrière, seulement ici elle ne vole rien mais délaisse son identité, ou alors s’accapare-t-elle celle des autres, ils en seraient attristés s’ils le savaient pense-t-elle. Ainsi elle fuit honteusement et silencieusement. Ici, plus explicitement que sur l’image précédente, nous voyons une identité changeante, perdue entre ce qu’elle était ailleurs et comme elle pense devoir être ici, en Autriche, pour se faire accepter et « se fondre dans la masse ». Paradoxalement, Marjane Satrapi, racontant ainsi son histoire et dévoilant son intériorité aux lecteurs, apporte dans sa singularité une forme d’universalité. En effet, elle retranscrit des émotions ou des incompréhensions que d’autres ont pu vivre et dévoile d’une certaine manière la psychologie de jeunes exilés ; apportant ainsi une forme de clarification à la portée de tous sur les difficultés mais aussi les apports de l’exil.
[pic 4]
Marjane continue sur cette voie de mimétisme et d’enfouissement de son identité culturelle. Ainsi, après avoir menti sur sa nationalité lors d’une soirée, elle surprend dans un café une conversation de jeunes filles de son lycée qui se moque d’elle à ce propos. Marjane se lève et cri alors « JE SUIS IRANIENNE ET FIÈRE DE L’ÊTRE !». A la suite de quoi elle sort du café et fond en larme jusqu’à se ressaisir. Dans la vignette ci-dessus, elle repense à ce que sa grand-mère lui avait dit la veille de son départ : « Reste toujours digne et intègre à toi-même ». Marjane, comme dit précédemment, avait alors 14 ans et n’avait certainement pas saisi le sens de ce conseil. Après un an de vie en tant qu’étrangère en Autriche elle comprend enfin : ce n’est pas en enfouissant ses origines, sa culture et en reproduisant les autres voire se faire passer pour eux que l’on s’intègre. Pour ce, le nécessaire est de faire la synthèse entre ce que l’on est ou ce que l’on était en arrivant et ce que l’on voit et apprend : synthèse entre sa part d’ici et sa part d’ailleurs. En effet, nous pourrions dire que si le mensonge perpétuel que donnait à voir Marjane lui a permis de se trouver des amis, ceux-ci n’étaient pas vraiment amis avec Marjane elle-même mais avec sa copie, avec celle feignait être. Cette situation faisait qu’elle se sentait coupable (cf. vignette précédente), et créait chez elle des problèmes de conscience envers les siens.
Nous pourrions considérer que Marjane, à travers cette vignette et cette forme de leçon de vie donné par sa grand-mère, donne elle-même ce conseil aux lecteurs qui pourraient être concernés par l’exil.
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