Christian Boltanski, le lac des morts
Par Christopher • 29 Octobre 2017 • 2 229 Mots (9 Pages) • 1 818 Vues
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cohabitation entre plusieurs territoires, entre celui du spectateur et celui de l’œuvre. Le territoire du spectateur peut-il vivre, survivre au territoire de l’œuvre ? La place du spectateur par rapport à l’œuvre à une importance presque capitale. A ce propos, Christian Boltanski nous dit : « le visiteur ne sera pas devant une œuvre, il sera dans une œuvre… »3 Il redéfinit la place du spectateur à travers son œuvre. Le spectateur n’est plus passif et ne se contente plus de regarder une œuvre, il
3 Source : https://charente-maritime.fr/colleges17/fe-la-rochelle/evaweb/IMG/pdf/personnes.pdf
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devient actif. Le rôle de ce spectateur est de traverser ce lac rempli de vêtements. Il participe implicitement à l’œuvre. Qu’adviendrait-il si les spectateurs étaient amenés à avoir un rôle encore plus présent ? Marcher sur cette œuvre par exemple ? Ils altéreraient la notion de territoire et de l’œuvre et la leur. On peut facilement les imaginer traversant réellement ce lac sans passer par un quelconque ponton de bois, ils se violenteraient et seraient troublés car ils auraient l’impression de marcher sur un tas de cadavres informes et décharnés. Ces vêtements sont ceux qui survivent à la mort, et qui la dépasse pour rappeler le corps qu’ils contenaient autrefois. Ainsi l’Holocauste n’est jamais totalement montrée, elle est explicitée comme le montre les vêtements plutôt récents trouvés certainement aux puces et pourtant c’est comme si cet espace atemporel tissait des liens avec l’Histoire.
L’artiste a défini les frontières de son œuvre, du territoire de son travail, cependant cette limite est remise en cause par la présence du spectateur qui amène son propre territoire. Le territoire du spectateur n’existe presque qu’à travers l’œuvre à laquelle il prend part. Les deux territoires n’en forment plus qu’un seul et unique.
La vie et le travail de Christian Boltanski a été marqué par l’extermination des juifs par les nazis. Grâce à son œuvre, mais aussi à son spectateur, il nous ouvre les portes sur un territoire insoupçonné : le territoire de la mémoire. Aussi, il nous présente un territoire où se confronte la présence et l’absence.
Lorsqu’on entre dans cette pièce, que nous voyons étalé par terre ces vêtements dans cet espace clos, une image nous frappe. On croirait voir de vrais corps, de vrais cadavres étendus inertes. Une foule de cadavres. Puis on se rend compte de la tonne de vêtement qu’il y a. On ne peut que penser à cette extermination qui a eu lieu durant la seconde guerre mondiale. Ainsi la mémoire collective est suscitée. C’est un territoire à la portée de tous puisqu’il réside en nous. Un territoire qui nous est familier, et que nous connaissons car la mémoire reste. L’imagination du spectateur est sollicitée. Christian Boltanski nous invite à explorer ce territoire de la mémoire, de nous souvenir et de lutter contre l’oubli. D’ailleurs, nous envisageons assez clairement la scène où les allemands nazis déshabillaient et entreposaient les vêtements de toutes leurs victimes. Non seulement cette image s’impose à nous, mais aussi l’expérience olfactive vient nous le rappeler. Un territoire de la mémoire qui réside dans chacun des spectateurs, ce qui renforce sa place capitale et son action dans l’œuvre de Christian Boltanski. Réserve : Lac des morts est un territoire où se confrontent l’absence et la présence. La présence matérielle des corps représentée par leurs vêtements, ces objets qui par delà la mort gardent une part de leurs maîtres. Mais en même temps, ces mêmes vêtements sont porteurs d’absence. Ils insistent sur l’absence de ces nombreux corps. C’est de part leur présence que nous remarquons leur absence, et vice-versa. Le spectateur s’imagine facilement les milliers de corps emmitouflés dans leurs vêtements qui flottent dans ce lac tels des fantômes. Mais aussi, il ressent cette absence par l’absence de bruit et l’expérience olfactive qui rappelle une odeur de grenier et de poussière. L’odeur de vêtements oubliés, passés.
Le territoire de la mémoire fait appelle au territoire où la présence rencontre l’absence, et où la présence du spectateur est presque inévitable pour faire vivre cette œuvre.
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D’autres œuvres du vingtième siècle font aussi référence à la guerre, et l’Holocauste implicitement mais aussi ont une notion de territoire.
Dans les années 1960, Arman présente Home Sweet Home4. Un titre qui se veut pourtant des plus rassurants. Il nous inspire la douceur, l’intimité domestique et pourtant… Nous sommes presque choqués lorsque nous regardons cette œuvre, et son titre. Le contraste qui est créé, par ironie tragique, avec l’objet que ce sont les masques à gaz nous interpelle. Ces masques à gaz sont classés dans notre conscience, et nous ramène à l’horreur des camps d’extermination nazis. Dans cette boite où s’inscrit l’horreur, l’objet reprend tout son côté macabre de par l’accumulation et l’enfermement. Contrairement à Christian Boltanski, Arman nous montre explicitement ces objets que nous pourrions qualifier de presque traumatisants. Et il faut noter qu’Arman reprend ici le principe de la profusion infinie du même. Ce qui nous amène chez Boltanski au travail de la mémoire. Nous retrouvons aussi cette présence de la notion du territoire, des territoires.
De nombreux territoires sont présents dans l’œuvre de Christian Boltanski. Que ce soit le territoire propre à l’œuvre, le territoire du spectateur, le territoire du souvenir et de la mémoire, et le territoire où se confrontent deux esthétiques aussi différentes que semblables : l’absence et la présence. La pluri-territorialité bien qu’étant jamais démontrée est toujours explicitée. On ne peut ignorer cette notion de territoire malgré tout. Rendue présente à la fois par les murs de la salle d’exposition, par la présence du spectateur au sein de l’œuvre, mais aussi par son imagination et son souvenir et enfin par l’opposition de l’absence et de la présence. L’Œuvre de Christian Boltanski est pluri-territoriale. Sans doute comme toutes les œuvres d’art qui ont à la fois la notion de territoire propre de l’œuvre, et celui du spectateur, après vient s’ajouter d’autres territoires implicites.
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