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Les vertus de la concurrence

Par   •  16 Novembre 2018  •  3 700 Mots (15 Pages)  •  539 Vues

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En ce sens, la vertu de la concurrence repose sur son efficacité, qui semble dépendre d’une logique implicite « du mal pour un bien ». En effet, l’idée sous-jacente à ce raisonnement est que les effets immédiats négatifs qui résultent de la structure de rivalité, sont susceptibles de produire à terme des effets bénéfiques, qui les compensent et les annulent, en étant l’occasion d’un développement moral supérieur. La question qui reste néanmoins de poser est de savoir si ce raisonnement, qui semble valoir à l’échelle de l’individu, se trouve applicable sur le plan social. Cela revient à poser la question de l’existence d’une vertu sociale ou politique de la concurrence

D’après ce qui a été dit précédemment, l’on voit bien que les effets bénéfiques attribués à la concurrence, ceux-là même qui amènent à parler d’une vertu qu’elle possèderait, reposent en réalité sur des ressorts psychologiques, qui, dépendant de la situation de rivalité avec les autres, visent également à la destruction et à la domination des autres. En effet, c’est l’appétit des honneurs, celui de la domination et de la possession, qui amène l’homme à déployer son action, sans considération des effets qui peuvent en résulter effectivement pour autrui. En d’autres termes, la concurrence relève de l’égoïsme naturel, qui pousse l’homme à faire valoir ses fins personnelles comme prévalant sur les fins d’autrui, ce qui semble menacer la société elle-même. D’où l’effet paradoxal de la concurrence sur le plan social, que Kant met aussi au jour : en même temps que la concurrence est liée à la reconnaissance d’une certaine nécessité de l’ordre social pour l’homme, elle menace aussi constamment de désagréger l’ordre social lui-même. La concurrence va a priori à l’encontre de l’existence sociale qu’elle insiste sur les passions égoïstes de domination sur les autres. Cela va à l’encontre de toute vertu morale de la concurrence, puisque la morale est précisément la prise en compte des effets de son action sur autrui et son intégration dans les motifs qui y président. Cet effet potentiellement désagrégateur de la concurrence se voit selon Kant aux effets qui en résultent immédiatement sur le plan historique. De la concurrence, naissent la violence et les inégalités, ce qui nous renvoie à la violence de la concurrence elle-même, qui agit comme un processus mécanique aveugle d’exclusion des plus faibles et des moins puissants. En définitive, la concurrence revient à un ordre social, dominé par les rapports de force, où le rapport avec l’autre n’est maintenu que parce qu’il est l’occasion de l’exercice d’une domination, dont le désir anime tout individu mais dont la satisfaction ne revient qu’à ceux qui ont les moyens de le satisfaire. Il n’existe donc pas de vertu politique, ni de vertu morale de la concurrence, dans la mesure où il n’y a rien qui amènerait nécessairement, dans sa mise en œuvre sur le plan historique, à ce qu’elle donne lieu à une reconnaissance de la valeur supérieur des intérêts de la communauté. Au contraire, selon les analyses historiques et sociologiques conduites par Marx et Engels, la structure concurrentielle est bien plutôt l’occasion d’une division de la structure sociale en groupes d’intérêts séparés, qui résultent précisément de la domination d’une classe sur une autre et qui s’expriment surtout à travers la structure économique des rapports de production.

De la même manière que les effets négatifs engendrés à court terme par la concurrence chez l’homme sont compensés à plus long terme par la réalisation de fins supérieures qu’elle permet, certain pourraient émettre l’hypothèse d’un bénéfice important de la structure concurrentielle sociale pour la société elle-même. En d’autres termes, si la concurrence ne se révèle pas vertueuse au sens où elle irait dans le sens d’une réalisation des principes moraux de justice, elle serait à même de faire entrer la société dans un processus d’accumulation, de développement et de croissance, qui maximiserait ses potentialités au niveau historique. En d’autres termes, s’il n’existe pas de vertu morale de la concurrence, elle possède une efficacité propre qui maximiserait l’utilité sociale. En effet, l’idée est que la mise en œuvre de la concurrence, la recherche de la domination et de la possession, est à même de faire entrer la société dans une voie de développement qu’elle ne connaîtrait pas sans elle. C’est une idée que sous-entend déjà la théorie kantienne, qui suppose que les processus de rivalité sont potentiellement porteurs d’un processus de développement, dans les ruses et stratagèmes que met en place l’homme lorsqu’il y est engagé. Dans la lutte pour la domination, l’homme développe en effet la technique et les sciences, ainsi que certaines institutions économiques. Il existerait en cela une vertu négative de la concurrence, qui consisterait à faire entrer la société dans la voie du développement historique, qui à terme se révèlerait préférable à l’idée d’une société où règnerait la concorde et le consentement mutuel. Le bénéfice social du mécanisme de la concurrence tient à la manière où elle réveille les hommes d’un bonheur arcadien de jouissance de désirs limités pour les faire entrer dans un processus historique de développement multiple, qui se situe sur le plan économique comme sur le plan scientifique. Qu’importent donc les désagréments engendrés par la mise en œuvre de la concurrence, puisque sur le plan social, celle-ci se révèle d’un intérêt supérieur, qui participe du développement de la raison dans l’histoire. On se situe néanmoins ici dans le cadre d’un progrès qui civilise, certes, mais qui ne moralise pas. Le passage à la moralité n’est pas requis dans la mesure où, selon une logique quasi économique, est seule prise en compte la possibilité de maximiser dans une perspective quantitative l’optimum social : le quantum de bénéfice social qui résulte de la poursuite de fins immorales (fins de possession, de domination, de recherche des honneurs) est supérieur au quantum social qui résulterait de l’absence de poursuites de ces fins immorales, ce qui sert de légitimation implicite à l’existence d’un tel ordre social. D’où le fait que la concurrence et le processus d’accumulation qui en résulte, puisse avoir été énoncé par certains comme devant être la seule finalité de l’existence sociale.

C’est en cela, que le discours sur les vertus de la concurrence se rend susceptible d’avoir des conséquences politiques, car il se transforme en discours sur la finalité sociale, qui est précisément

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