La parole est-elle transformation du réel?
Par Matt • 26 Octobre 2018 • 2 124 Mots (9 Pages) • 544 Vues
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représentation abstraite, qui se situe « à travers », au-delà de ce qui est visible. Le langage dans ce cas va encore plus loin dans l’expression du réel.
De plus, entrevoir la vérité, selon Hegel, ne peut que se faire par les mots. Selon le philosophe allemand, il n’y a pas véritablement de pensées avant le langage, mais seulement quelque chose de confus, indéterminé et trouble. Ce n’est qu’une fois qu’on applique des mots à ces sentiments troubles qu’on arrive à les transformer en pensées claires et précises. De même, si quelqu’un n’arrive pas à expliquer quelque chose, c’est qu’il n’a pas compris cette idée. Cette idée qu’il avait en lui était en fait une pensée trouble. Ainsi les mots nous permettent d’accéder à la vérité, puisqu’ils permettent de clarifier des idées abstraites, et donc de les rendre réelles. Ce qui est indicible n’est donc nullement précieux, contrairement à l’avis de la doxa: (livre page 135): « car, bien que l’on soit d’avis ordinairement que l’inexprimable est précisément ce qui est le plus excellent(…) ». Malgré tout, n’y aurait-il pas de l’ineffable en nous-même, des sentiments uniques face auxquels le langage, trop général, serait impuissant? Selon Henri Bergson, chaque individu est composé de trois couches. Les deux premières, superficielle et intermédiaire, sont responsables de la quasi-totalité de nos actes quotidiens. Ces deux couches, par laquelle s’exprime notre personnalité « extérieures », sont surtout influencées par la société, le milieu social…La dernière couche, la plus profonde, reflète en revanche notre « moi profond », ce que nous sommes réellement, indépendamment du contexte social. La particularité de cette dernière couche est qu’elle est unique à chaque individu, au contraire des deux autres. En effet, si quelqu’un observerait des hommes d’un même milieu social, il en conclurait qu’ils ont beaucoup de similarités; leur loisir, leur langage, leurs habits, leur profession, leur conjoint…Leurs personnalités ne seraient alors pas si différentes. Mais toutes ces choses ne dépendent pas du moi profond. Les sentiments du moi profond sont tous uniques à chaque être :(livre page 136); « Ainsi chacun de nous a sa manière d’aimer et de haïr, et cet amour, cette haine, reflètent sa personnalité toute entière » Or si ces sentiments sont uniques, comment pourraient-ils être fidèlement décrits par des mots? Les mots, en effet, ne sont en aucun cas unique à chaque individu. C’est là une insuffisance que Bergson reproche au langage. Le mot « amour », par exemple. « Amour » peut-être utilisé pour parler de son mari, de sa grand-mère, de ses chaussettes, d’un film, de nourriture. Les mots ont un sens tellement général qu’il ne désigne pas ce que l’on ressent. Les amants seront les premiers à témoigner que « je t’aime » n’explique pas ce qu’ils ont partagés, ce qu’ils ont vécus, ce qu’il souhaitent vivre. Comment ce « je t’aime » pourrait leur être unique si des milliards d’amoureux l’ont dit avant eux? Mais même en enrichissant le mot, parler d’amour filial ou d’amour passionné par exemple, on ne pourra jamais exprimer parfaitement nos émotions. Bergson compare cela à intercaler successivement des points entre deux positions, sans jamais combler la distance parcourue. Ainsi les « mille sentiments qui agitent l’âme » sont condamnés à rester impersonnel, et à être traduits par des adjectifs qui paradoxalement ne peuvent pas les traduire. De plus les sentiments se juxtaposent souvent, dès lors il faudrait trouver des mots pour ces synthèses. Lorsque l’on sort du cinéma par exemple, on va ressentir des émotions contradictoires. Or on croit à tort qu’il s’agit de sentiments qui s’opposent, il s’agit en réalité d’un seul sentiment qui fait la synthèse de tous les autres, mais il n’existe malheureusement aucun mot pour de telles synthèses. Les sentiments sont également en perpétuel mouvement, contrairement aux mots qui les caractérisent. L’angoisse à l’approche d’un examen va être crescendo par exemple. Or le mot angoisse ne va pas suivre la même évolution. Quand les pensées sont fluides, mouvantes, les mots sont figés, précis, imperturbable. Les phrases sont ainsi composées de juxtaposition de termes qui ne saisissent jamais l’instant unique d’un sentiment.
Mais si le langage est insuffisant pour des sentiments intérieurs, il l’est également pour ce le monde extérieur à nous. Par le langage, nous nous à bornons à simplifier le réel. Par exemple quand on se couche dans un lit, ce n’est pas la même sensation que de se coucher dans un autre. On va pourtant masquer les singularités de ces deux lits, et garder seulement un aspect, celui de pouvoir dormir dedans. Le mot s’insinue donc entre nous et ce lit et nous prive de la singularité unique de ce lit. Quand on parle, on ne distingue qu’un trait particulier de la chose. Quand on parle de ses amis, on ne parle pas de leur spécificité à chacun, on les groupe sous l’appellation « amis », qui vaut pour des millions d’autres êtres humains. Si l’on réduit à ce point le réel, c’est parce que cela est plus pratique pour nous. Selon Bergson, le langage était originellement utilitaire. Les hommes qui survivaient n’étaient pas ceux qui faisaient la différence entre deux lions. Il fallait être rapide et simple, pour pouvoir identifier les dangers plus rapidement. Ainsi la pensée est incommensurable avec le langage, elle reste toujours ineffable. Le langage se dresse donc inévitablement en barrière entre nous et la vérité. Tentant de répondre à la problématiques posée dans l’introduction, nous avons pu voir que la vérité présupposait souvent une existence du langage, notamment dans la vision hégélienne du langage. Cependant la critique bergsonienne du langage a fait apparaitre ses insuffisances, à savoir son incapacité à isoler la singularité du réel du fait de la généralité des mots. Si nous n’avons pas pu rentrer dans ce débat millénaire, contentons nous de citer Guy de Maupassant, qui avait sans doute vu juste, lorsqu’il disait : « Le baiser est la plus sûre façon de se taire
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