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Un personnage médiocre peut il etre un heros de roman

Par   •  7 Janvier 2018  •  2 076 Mots (9 Pages)  •  701 Vues

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« pauvreté », lui petit médecin de campagne vivant pourtant de façon aisé, et qui finira par se suicider. Emma Bovary stigmatise ainsi les stéréotypes féminins de la petite bourgeoisie : à travers elle, Flaubert dénonce les « mœurs de province » de ces femmes (accusation qui lui vaudra un procès pour « offenses à la morale publique et à la religion »). Mais, avant même de dénoncer une façon de vivre, Emma Bovary se fait le reflet du lecteur, le faisant ainsi réfléchir sur sa condition (Baudelaire, à la même époque, dira : « Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère »). Pourtant, malgré sa médiocrité, Emma Bovary est devenu en deux siècles une véritable

héroïne qui incarne toute une philosophie, qui porte son nom, d’ailleurs : le bovarysme. Zola expérimentera une autre sorte de médiocrité chez ses personnages : celle qui, pour lui, est du à l’influence de l’hérédité et du milieu sur l’homme de son siècle. Pour prendre seulement un exemple des Rougon-Maquart (la famille qui sert de support à l’écriture de sa fresque naturaliste), Gervaise, dans l’Assommoir (1877), se précipite dans la déchéance de l’alcoolisme, tentée par Paris et ses mauvais quartiers et clairement influencé par son père qui était mort du même problème. Zola met ainsi l’accent sur les défauts de tous ses héros : alcoolisme, folie, mysticisme, imbécillité, ambition, cruauté... Ses personnages subissent leur destin plus qu’ils ne le maîtrisent (ajoutant encore à leur médiocrité), comme ils subissent le poids de la société et de la condition humaine, révélée médiocre à travers le réalisme de Zola. Le XXe siècle est le théâtre d’une diversité dans les héros, entre le renouvellement des héros « classiques » et médiocres et la naissance d’autres héros encore. Parmi ceux-ci, il y a les héros qui incarnent une thèse philosophique. Même si, par leur aspect final, ils peuvent être rattachés au héros médiocres, ce n’était pas le but de leur auteur d’en faire des médiocres. Dans l’Étranger (1942) de Camus, Meursault, avec son apparente simplicité d’esprit et le meurtre qu’il commet est pour ainsi dire médiocre (même si, à force, la conjonction des deux pousse le lecteur à le trouver attachant, à ne pas le voir comme un meurtrier mais comme un homme, et donc à reconsidérer l’Humanité et le Moi d’une façon plus tolérante). Pourtant, Albert Camus fait juste de son personnage une thèse philosophique qu’il défend à travers lui : l’absurde. La médiocrité peut ainsi mener à l’expression d’une thèse philosophique. La médiocrité, toujours au XXe siècle, est poussé à un tel point qu’un courant, le Nouveau Roman (dont les auteurs sont publiés aux éditions de Minuit depuis le début dans les années 1950, donnant à la maison une renommée d’avantgardisme), fait disparaître ses personnages. Ainsi, dans Les Gommes (1985) de Alain Robbe-Grillet, les personnages n’ont pas plus d’importance que les objets dans l’étrange enquête que mène le détective Wallas. Le XXe siècle nous présente ainsi une pluralité de héros médiocres. Le XXIe siècle, quant à lui, joue sur les deux tableaux du héros, sélectionnant parfois une des « catégories » pour le réadapter. Pour le héros médiocre, notamment, la tendance actuelle est à l’autofiction : les auteurs, dont la plupart se considèrent comme des êtres normaux (donc médiocres : si l’on considère l’étymologie latine, medium, un être médiocre est un être qui se situe au milieu) se mettent en scène sous l’identité de leur personnage et mettent au grand jour leur médiocrité. Ainsi, Justine Lévy parle dans Mauvaise Fille de culpabilité et de peu d’estime de soi, des caractères humains mais peu dignes d’un « héros » en livrant l’histoire de la mort de sa mère et de la naissance de sa fille. Ou alors Eric Fottorino, avec l’homme qui m’aimait tout bas, qui confie son manque de compréhension (là encore un défaut, chose inexistante chez le héros exemplaire) devant le suicide de son père. Ou encore Daniel Cordier, dans Alias Caracalla, ses mémoires qu’il écrit comme un journal intime qu’il aurait tenu à un moment de sa

vie, celui de la seconde guerre mondiale, qui se présente comme un royaliste raciste et antisémite au début de son livre. Le héros médiocre est aussi mis en scène dans de nombreux autres romans : Le rapport de Brodeck de Philippe Claudel nous présente un narrateur qui se considère comme « rien », Les Bienveillantes de Jonathan Little met en scène un nazi (qui pousse le lecteur à se demander quel aurait été son choix face au nazisme), Et que le vaste monde poursuive sa course folle de Collum McCann, roman polyphonique qui met en scène des américains brisés par les années 1970... Enfin, on retrouve tout de même dans le roman contemporain des textes qui présentent un certain retour au héros de gloire : c’est de la littérature faite pour divertir le public, qui rejoint un peu le but premier du roman, celui qui s’est imposé alors que le roman n’était qu’un « genre mineur » (Boileau, Art poétique, 1674) : faire s’évader le lecteur. Marc Lévy, par exemple, avec Et si c’était vrai et d’autres ouvrages, nous présente un personnage qui ne baigne pas dans la médiocrité quotidienne et vit une aventure extraordinaire, souvent en rapport avec l’amour. D’autres auteurs mettent ainsi en scène des héros qui plaisent aux lecteurs car ils les font s’évader. On conçoit donc que le héros de roman doive être exemplaire en tout point afin d’illustrer et de transmettre des qualités et être extraordinaire pour évader le lecteur enfermé dans la médiocrité de sa vie. Cependant, le héros médiocre est utilisé à partir du XIXe siècle dans un souci de réalité (rendue plus criante avec le héros médiocre), d’adaptation à son temps (et à la demande de son temps) et d’« intellectualisation » du roman (faire réfléchir le lecteur sur son sort en lui montrant son reflet dans un personnage). Ce personnage médiocre devient, grâce à sa création et sa place dans un récit, un véritable héros, aussi médiocre soit-il. Ainsi, Emma Bovary, Brodeck et Gervaise sont des héros au même titre que Perceval ou la princesse de Clèves. Et si, comme disait Zola dans Deux définitions du roman, « le premier homme qui passe est un héros suffisant », le simple fait de vivre ne serait-il pas

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