Sociologie d'une passion : les Beatles
Par Ramy • 9 Septembre 2018 • 4 010 Mots (17 Pages) • 743 Vues
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Ces trois premiers chapitres constituent l'ensemble de la première partie qui décrit le processus de découverte et d’affirmation de la passion. On suit au cours de ces chapitres la trajectoire pas à pas de la passion Beatles, qui sort progressivement de l’univers domestique pour gagner le fan-club ; Christian Le Bart nous montre comment l’évolution de la passion est en lien avec celle des âges de la vie ; balbutiante et intime à « l’âge du collège », l’identité de fan se structurerait progressivement jusqu’à s’affirmer à « l’âge du lycée ».p 93.
C’est donc autour de l’adhésion à un fan-club et de l'idée de « communauté » que s’organise la seconde partie de l’ouvrage : Comment se construit la communauté des fans ? L’auteur souligne tout d’abord dans le chapitre 4: « Afficher sa passion Beatles ( Come together) », les comportements ostentatoires, orgueilleux que la passion provoque : le désir incontrôlé d'afficher sa passion autour de soi et de l'imposer au autres qui deviennent les témoins de cette adulation. L’affichage de cette passion emprunte des voies multiples, du discours de légitimation à la posture du collectionneur ou de l’érudit en passant par la participation à la communauté « officielle » des fans, l'adhésion à un fan-club. Cette adhésion apparaît comme un étape décisive pour les fans. En effet, avant de devenir des adhérents à ce fan-club qui constitue une communauté, ces derniers sont relativement seuls. C'est ce que déclare Christophe «J'ai jamais vraiment communiqué avec d'autres».p 95. Ce sont donc des passionnés solitaires jusqu'au moment de l'adhésion qui leur permet de rencontrer « un autre soi-même ». Ainsi, les analyses que proposent par la suite Christian Le Bart sur le fan-club sont particulièrement stimulantes, notamment parce qu’elles rendent compte de la diversité des pratiques et des attitudes au sein d’un univers singulier que constitue le fan-club. Le fan-club est d'un côté perçu et construit comme une « famille » et une communauté élitaire et d'un autre côté, il est le jeu de la distinction entre fans, hiérarchisés selon leur degré de connaissance ou de proximité avec la culture Beatles au sein du fan-club. En définitif, le processus identitaire a un prix à payer au sein du fan-club: « le passionné croyait s’être forgé une identité singulière en arpentant un chemin qu’il espérait exceptionnel et solitaire, il découvre finalement que son petit monde est aussi peuplé qu’un autre » (p. 114). Ainsi, des trajectoires identitaires subtiles s'établissent : les fans jouent sans cesse du plaisir d'être ensemble et du plaisir de se différencier. Christian Le Bart rappelle donc à la fin de ce chapitre comme il est compliqué de trouver son identité individuelle car celle-ci semble être en équilibre entre nos singularités et notre volonté de se conformer aux autres. Pour conclure, cette identité individuelle qui peut-être fortement animée par une passion qui nous accapare le corps et l'esprit semble être une quête infinie qui ne cesse de se dérober. Néanmoins, entretenir une passion est un processus de construction identitaire, seulement, celle-ci se heurte à de nombreuses problématiques qui ôtent à l'acteur cette particularité qui est une richesse dans la construction de son identité.
Dans le chapitre 5 : « Identités à la carte ( I me mine) », le monde des fans se présente comme un espace de conflits et de différenciation : mais là encore, l'image du groupe des Beatles rend possible une diversité de positionnements identitaires, et ce même lorsque les représentations ordinaires se sont figées en stéréotypes (par exemple, Mc Cartney vs Lennon). En effet, l'affirmation identitaire se fait souvent par la confrontation, parfois agressive, avec d'autres imaginaires musicaux rivaux. Les réseaux d'admirateurs sont le théâtre de luttes symboliques internes à cet univers. Il s'agit, par exemple, de choisir son camp : Lennon contre McCartney. L'adhésion à l'une ou à l'autre de ces deux personnalités si opposées, c'est l'adhésion à une certaine vision du monde, à un certain style. Par ailleurs, l'auteur démontre la stratégie qu'exerce ces fans qui savent utiliser cette pratique médiatique de la bonne manière. Ils savent choisir leur positionnement concernant une personnalité ou une autre en fonction de ce que l'offre médiatique leur propose. Ils font toujours en sorte d'user avec stratégie de ces figures identitaires construites par les médias pour définir avec précision leur « Beatles à soi ». Christian Le Bart dans ce chapitre souligne la manière dont prennent forme des lectures individualisées des Beatles compatibles avec les trajectoires de vie. « Chacun peut, en quelque sorte, voir dans l’œuvre ce qu’il a envie de trouver »(p. 128)
Pour autant l'auteur ne conçoit pas la passion Beatles comme une simple affaire de stratégie identitaire ou d'affiliation à tel ou tel leader du groupe qui relèverait que du « bricolage tactique ». Valorisante, la passion musicale peut alors être galvaudée jusqu’à être réinvestie dans les trajectoires biographiques : choix scolaires (comme la volonté d'apprendre l'anglais plutôt que l'allemand ou l'espagnol au collège) culturels, ou, plus indirectement, choix d’une profession qui permette d’assouvir sa passion, etc..c'est ce que le chapitre 6 : « Récits de vie sous le signe des Beatles (Eight days a week) » raconte. L’auteur aborde justement la manière dont les fans du groupe vivent avec leur passion. Celle-ci se fait plus ou moins présente dans l’activité professionnelle. Certaines personnes déclarent ainsi que leur goût pour les Beatles reste semblable, d’autres qu’il décline, d’autres encore qu’il est cyclique (p.156). Un des acteurs, Laurent Barraud est président d'un fan-club, le Club du Sgt Pepper et exerce à coté son métier de gendarme. Toutefois, il donne la priorité à ses activités au sein du club et se trouve satisfait d'avoir des horaires « relativement fixes » pour consacrer du temps à sa passion à côté : « l'identité de président de fan club, particulièrement valorisante, l'emporte sur celle de gendarme ». Aussi, parler de « bricolage » ou de « stratégie » pour évoquer le processus de production des identités des acteurs est peut-être à reconsidérer : « Le modèle des stratégies identitaires souscrit cependant peut-être un peu hâtivement au paradigme de l’acteur social rationnel et libre de ses choix » (p. 163)
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