Journal d'une syrienne
Par Ninoka • 22 Juin 2018 • 8 515 Mots (35 Pages) • 429 Vues
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Je pense à mon défunt mari, qui malgré le besoin, avait toujours insisté pour ne pas dépenser tout l’argent qu’il avait épargné durant les beaux jours, il disait toujours que l’ont n’avaient encore rien vu, que les jours les plus sombres, restaient encore devant nous… Cet argent m’a permis de payer à l’avance le passeur pour garantir nos places, soit 300.000 lires.
La Jordanie est loin d’être notre destination finale ; pour l’instant j’ai pour projet de m’installer dans le camp d’EL AZRAQ, nouvellement construit la bas par le Haut-commissariat aux Réfugiés.
J’entamerais ensuite un périple pour le Maroc en passant par l’Algérie, pour enfin passer en Europe. Selon beaucoup, ce circuit est plus sécurisé que la traversée de la Syrie pour joindre la Turquie.
Jordanie, 02 juin 2014
Cher journal
Cela fait des jours que l’on ne s’est pas parlé, toi et moi…
Bonne nouvelle, je suis sur le sol jordanien ! Passage de l’apocalypse, à un semblant de vie normale... Il faut avoir vécu l’enfer comme nous, pour comprendre vraiment...
Je te raconte en détails :
Nous étions une dizaine de personnes à avoir entamé un périple de nuit, entassés dans le pick-up du passeur, se faufilant entre champs, zones de conflit et ruines des villages.
Au bout d’un voyage de cinq heures qui m’a semblé interminable, nous sommes enfin arrivés à la frontière. Par la suite, nous avons été transportés, vers un centre d'enregistrement où des dizaines d'autres familles de réfugiés attendaient.
Les quatre jours suivants, nous sommes restés bloqués à « Hadalat », à 500 kilomètres au nord-est d’Amman, et l’un des derniers points frontières encore ouverts entre la Jordanie et la Syrie.
Quatre cents, peut être cinq cents personnes attendaient d’être fouillées, contrôlées, et enregistrées avant de passer. Peu parmi eux souhaitaient rejoindre les camps.
La plupart voulait s’établir en ville, pensant sans doute qu’il y’a plus d’opportunités pour une vie meilleure. Pure illusion ! On dit que 80% des réfugiés en Jordanie « vivent » dans la plus grande misère dans les villes jordaniennes.
Notre délivrance intervient le quatrième jour. Nous étions plus de 200 personnes à être transportées le jour même, par camions vers le camp Al Azraq. Il est situé au milieu du désert, à 100 kilomètres d'Amman et à 80 km de l’autre Camp Zaatari.
Al Azraqa a ouvert ses portes le 30 avril 2014 et abrite pour l’instant un petit nombre de réfugiés, contrairement à Zaatri qui a atteint ses limites. En tout cas, c’est ce qui nous a été dit.
Je ne sais pas combien de kilomètres nous avons parcouru au milieu de ce désert qui me semblait infini… c’était un voyage éprouvant. Halla épuisée, a dormi la moitié du trajet. Les camions se sont arrêtés dans un centre médical où nous avons subi des contrôles médicaux, et de sécurité avant de pénétrer dans le camp.
A l’entrée, une représentante de l’ONG internationale CARE nous a accueilli et nous a parlé du camp. Il est géré par les autorités jordaniennes avec l'appui du HCR et des ONG. Il s’étend sur 15 km2 et comporte actuellement 5 000 logements, d’une capacité d’accueil de 25.000 réfugiés. Bientôt, une fois les constructions terminées, il pourra en recevoir 130.000.
Des rangées de bâtiments blancs, disposés par petits groupes de 12, répartis en villages, s'étendent à perte de vue dans le désert. Chaque groupe avait sa propre salle de bain et ses toilettes.
Notre abri d’une vingtaine de mètres carrés, se trouvait dans le village numéro 3. Nous avons eu droit, dès notre arrivée, à deux matelas, deux couvertures, deux lampes à énergie solaire et des ustensiles de cuisine. Pour la première fois depuis longtemps, fatigue aidant, j’ai fermé les yeux et j’ai sombré dans un sommeil profond…
Camp Al Azraq, 02 octobre 2014
Cher journal ,
Trois mois après, toujours dans le camp, les conditions de vie se sont gravement dégradées, des réfugiés, beaucoup de réfugiés affluent chaque jour… j’entends parler de 500 voir 600 personnes qui débarquent quotidiennement dans le camp !
Les horreurs commises par DAECH y sont pour beaucoup. Ces barbares tuent, décapitent, égorgent et brûlent les humains vifs. Les gens fuient Raqqa, et toute la Syrie… Ils arrivent traumatisés, choqués... Les ONG du camp sont dépassées.
Des coupures d’électricité, la pénurie d’eau et la rareté de la nourriture. Voilà notre quotidien !
Les tempêtes de sable aussi ! De plus en plus récurrentes. De plus en plus insupportables. De plus en plus menaçantes. A chacune d’elle, Halla est terrorisée ! Elle croit que « nous allons mourir enterrés sous le sable »...
Il est temps pour nous de partir.
Abou Adnan, mon cousin, qui s’était réfugié avec sa famille, dans un premier temps, à Ramtha, ville Jordanienne située à quelques kilomètres de Draa, a déménagé depuis un moment à Al Azraq. A Ramtha, les 12 membres de sa famille vivaient grâce à des coupons alimentaires et à l’argent rapporté par ses deux fils aînés qui se sont reconvertis dans la vente des légumes.
Dans leur vie antérieure, ils étaient des grands commerçants à Draa.
Mais, depuis un moment, ils n’avaient plus de rentrée d'argent. Ses deux aînés, ainsi que leur frère de 14 ans, ont entamé un périple pour l'Europe, à travers la Turquie. La famille a ensuite perdu toute aide alimentaire… Il leur était impossible dans ces conditions de continuer à payer un loyer de 250 dollars, et de subvenir à leurs besoins.
Abou Adnan prévoit de rejoindre ses enfants en Europe le plus tôt possible, mais il n’a pas les moyens pour payer le voyage au reste de sa famille. Le voyage coûte plusieurs milliers de dollars, dont 400 rien que pour obtenir un nouveau passeport syrien.
Je lui ai exposé mon projet d’exil au Maroc, et je lui ai demandé de m’aider pour les passeports. Il a toujours été débrouillard.
Quelques jours plus tard, j’ai reçu les deux passeports ! Plutôt, nos photos sur deux passeports ! Je m’appelle
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