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Faut-il être catastrophiste ?

Par   •  13 Juin 2018  •  2 325 Mots (10 Pages)  •  353 Vues

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dans sa dernière intervention publique début février disait à propos de la réussite du socialisme «Nous n’avons pas à la prouver, l’histoire le fera ». Plus révélatrice encore de cette continuité, la pensée de Walter Benjamin qui lie explicitement catastrophe et révolution. Pour ce dernier, la mise en place d’une utopie permet de « considérer l’histoire à la lumière d’une situation déterminée qui la résume comme en un point focal. Les éléments de la situation finale ne se présentent pas comme informes […], mais, à titre de créations et idées en très grand péril, hautement décriées et moquées1  Ainsi, le révolutionnaire, en proposant une utopie, irrigue le présent et donne la marche à suivre pour éviter la continuation de la catastrophe, qui est pour W. Benjamin, la société capitaliste. Chez l’auteur, l’utopie annonce et rend possible la sortie de la catastrophe. Le révolutionnaire est également tendu vers un avenir hypothétique qui irrigue le présent et invite au changement. Néanmoins, la catastrophe n’est pas fondatrice, elle est un état de fait. Chez cet auteur, c’est l’utopie qui est fondatrice. La différence entre un catastrophiste et un révolutionnaire se situe donc dans le moteur de l’action, la cause de la tension. Si le catastrophiste « réagit à », le révolutionnaire « tend » vers. L’écologiste catastrophiste, annonçant les périls que l’espèce humaine encourt du fait du réchauffement climatique ou de la disparition de la biodiversité, attend une réaction. Le catastrophiste religieux réagit quant à lui à la dégradation morale du monde qu’il veut éviter. Jonas Hans, en catastrophiste moral, invite à pratiquer l’ « heuristique de la peur » pour qu’en réaction à l’annonce de la catastrophe nous prenions conscience de ce qui est important pour nous. Le catastrophiste est donc essentiellement un réactionnaire au sens où Joseph de Maistre est un réactionnaire c’est-à-dire une personne qui réagit contre une réalité potentielle ou effective mais qu’il exècre ou qu’il craint. Contrairement au conservateur qui souhaite maintenir un statut quo, le réactionnaire souhaite le changement, sa réaction crée une dynamique. Nous pouvons donc dire que le catastrophiste est un individu qui fonde sa pensée sur un évènement, une catastrophe, advenue ou à venir, et qui en réaction souhaite agir sur le présent pour l’éviter. Fort de cette définition, nous allons maintenant chercher à savoir si oui ou non il faut être catastrophiste ?

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Tout d’abord, force est de constater que l’usage du catastrophisme ou de l’utopie ont parfois mené à des pratiques condamnables ou au conservatisme. La pièce de Caligula montre bien à quel point fonder son raisonnement sur un évènement aussi radical qu’une catastrophe ou l’avènement d’un monde parfait peut entraîner des comportements dangereux et destructeurs. Dans la pièce les morts sont nombreux, tant dans le peuple évoqué que dans les personnages de la pièce. Cet exemple fictif a des échos dans l’histoire récente. Le Maccarthisme, forme de catastrophisme anti-communiste, a rendu la société civile américaine phobique et entraîné de nombreuses injustices. Plus récemment, le Patriot act, voté aux Etats-Unis le 26 octobre 2001 à la suite des attentats du 11 septembre, montre que lorsqu’une catastrophe est envisagée, la victoire de l’ « axe du mal », des lois réduisant sensiblement la protection des citoyens peuvent être votées. Les révolutionnaires ont pêché de la même manière. Au nom de l’avènement d’une société communisme, l’URSS a brimé les libertés individuelles. Durant la Terreur (1792-1794), au nom de l’avènement d’une société plus juste et par crainte d’un retour à l’Ancien Régime, les révolutionnaires ont guillotiné de nombreuses personnes sans réels procès. Ainsi, faire d’un évènement catastrophique le moteur de son action qui n’a rien d’assuré peut engendrer des comportements présents dangereux. Un autre enseignement de l’histoire est que face à des annonces de changements brutaux, la société civile peut sombrer dans le conservatisme ou dans l’inaction. En effet, à quoi bon changer ses comportements si la catastrophe est inévitable ou si les changements nécessaires pour l’éviter sont immenses et les gains hypothétiques ? Le catastrophiste invite chacun à faire un pari pascalien : certes la catastrophe n’existe pas, mais au cas où, prenons toutes les précautions, contraignons-nous, forçons-nous. Sauf que dans le pari pascalien, le gain incertain est infini : la vie éternelle. En revanche, chez les catastrophistes, la perte est toute aussi potentielle et potentiellement infinie, mais le gain est bien moindre. Enfin, après mai 1968, l’électorat se tourna vers la le Général de Gaulle, garant de la continuité, preuve que parfois, des annonces de changements trop brutales mènent à une certaine forme de conservatisme et de prudence.

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Les effets du catastrophisme sont au mieux imprévisibles, aux pires néfastes, car, comme l’explique Camus en parlant de Caligula, le catastrophiste est « Infidèle à l’homme par fidélité à lui-même  ». Camus développe : « Si sa vérité [de Caligula] est de se révolter contre le destin, son erreur est de nier les hommes. On ne peut tout détruire sans se détruire soi-même. C’est pourquoi Caligula dépeuple le monde autour de lui et, fidèle à sa logique, fait ce qu’il faut pour armer contre lui ceux qui finiront par le tuer. Caligula est l’histoire d’un suicide supérieur ». Le catastrophiste, comme hypnotisé par sa découverte, prend le risque d’oublier le présent, de sacrifier le réel et d’oublier les hommes et femmes qui le constituent. Ainsi, aveuglé par l’avenir ou par la catastrophe, il propose des solutions au mieux inopérantes, au pire dangereuses. Comme le dit le sociologue Alain Touraine, pour être efficace dans ses propositions «Il faut quitter le calme rassurant des utopies et des prophéties, fussent-elles catastrophiques, pour descendre dans le mouvement, déconcertant mais réel, des relations sociales ». Le catastrophiste, en créant un évènement monstrueux au sens propre, nivelle la réalité, et ne peut appréhender la complexité du monde. Qu’est ce qui n’est pas sacrifiable pour éviter une catastrophe ou faire advenir une société parfaite ? Les solutions deviennent alors simplistes et les individus des obstacles. Pour le prudent, la catastrophe n’est pas fondatrice, elle est envisagée comme un élément du possible qu’il faut prendre en compte pour décider. La catastrophe, pour lui, n’est qu’un élément de la réalité, et surement

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