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Ethnographie d'un commerce - IUT techniques de communication

Par   •  5 Novembre 2018  •  3 412 Mots (14 Pages)  •  557 Vues

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Nous détournons le regard vers la gauche. Sur une table basse, affalés dans de larges fauteuils en cuir, deux hommes discutent à voix basse. Costume cravate et montre Breitling, ils scrutent le restaurant des yeux avant chaque phrase prononcée. Chevelure grisonnante, teint hâlé et paire de lunettes sur les yeux, le premier, les mains serrées sur la table, regarde fixement son homologue s'évertuer à lui faire comprendre quelque chose. Le ton et les gestes nous font présumer d'une discussion d’affaire, mais la portée de leur chuchotement n'atteindra pas nos oreilles. Au regard de l'intimité, l'intimisme du lieu, les repas d'affaires sont probablement monnaie courante. Lorsque le serveur leur apporte l'addition, dans un livret de cuir noir qu'il dépose agrémenté de deux cartes de visites au nom du restaurant, les deux hommes, simultanément, extraient leur portefeuille de leur veste. Traditionnel combat du "qui invite qui", l'homme à l'air si dubitatif remporte la bataille en glissant énergiquement quelques billets dans la main du serveur qui s’impatientait en silence. Ils se lèvent ensuite et repassent leur manteaux trois quarts. Sans mot dire, ils se quittent, l’un plus pressé que l’autre de quitter l’endroit.

Ici tout est permis, l'endroit reste intimiste malgré son brouhaha ambiant. Au mur, les posters d'actrices chinoises côtoient les vieilles affiches des années trente et quarante. Des compositions florales parsèment le restaurant tandis que fleurissent sur toutes les tables des bougies et pots d'olives délicatement et précisément posés par les serveurs. De grandes tablées se lèvent, payent leur dû en brandissant fièrement les cartes American Express. Peu à peu, le restaurant se vide et sa clientèle se renouvelle, les nouveaux arrivants sont bien plus jeunes, ici, on boit des verres jusque six heure du matin.

A vingt-trois heure trente, le sous-sol de l'établissement est encore animé. La descente s'effectue par un escalier voilé par un rideau de velours rouge. Une dizaine de marches plus bas, une fois la porte de la salle ouverte, le niveau sonore triple de volume. D'en haut on ne percevait rien, voilà que quatre musiciens reprennent une chanson de Michael Jackson sur la petite scène du fond, bardée de câbles et enceintes en tout genre. Le mur derrière cette scène est orné d'un panneau "le China". En face donc, la scène et son public, derrière, le bar. Éclairé de lumières à filtre rouge, il affiche seulement quelques bouteilles, et personne ne se tient derrière, ce qui a le don d'énerver le public qui fait la queue pour son cocktail. En avançant dans la pièce, la musique se fait plus forte. Les quatre artistes en sueur terminent leur morceau et font leurs adieux en saluant de la main ceux qui les ont applaudis depuis deux heures. Presque instantanément, un homme à la coupe afro-américaine monte sur scène et installe son matériel. Ce n’est pas l’ingénieur du son, ni un assistant, c’est le deejay qui vient relever les musiciens. En quelques secondes, la salle est vide, et lui commence seul à lancer ses platines. Un vinyle à gauche, un vinyle à droite, remuant son corps comme s’il était seul dans sa chambre.

Nous repassons dans la grande salle en remontant les mêmes escaliers qu’il y a une petite demi-heure. La porte du personnel, au fond de la salle, est entrouverte et laisse percevoir l’homme de la plonge, équipé de son jet d’eau et affairé à nettoyer les verres, assiettes et couverts de tout le restaurant. La porte se referme, nous empruntons l’escalier qui mène au premier étage. Large et revêtu d’un tapis rouge, cet escalier tournant pourrait bien avoir sa place dans un palais asiatique. A sa sortie, un large couloir où se trouvent quelques tables. Places ingrates, entre le vestiaire, les toilettes et les cuisines du premier étage.

En passant discrètement la tête au-delà du passe plat des cuisines, chose traditionnellement réservée au personnel, nous observons quelques secondes la cacophonie organisée qui y règne. Une dizaine d'hommes, chacun vêtu du tablier et de la toque obligatoires, s'affairent sur leurs ingrédients. Ils cuisent, découpent, assaisonnent et mette en forme les assiettes qu’ils s’empressent de poser sur une plaque d’aluminium chauffée par le dessous. Frappant ensuite une cloche, à la manière d’un client qui appellerait une hôtesse a l'accueil d'un hôtel, ils font comprendre au jeune homme en costume noir qu'il est temps d'apporter le plat à son commanditaire.

Au fond de ce corridor, une porte battante grince, et laisse sortir un couple de trentenaire. Après l’avoir passée, nous sommes au fumoir. Pièce calme et détendue, probablement un ancien fumoir à cigare, comme en témoigne les nombreuses traces de brulures laissée sur les tapis au sol. Toujours ces canapés et fauteuil Chesterfield usés, quelques bambous au coin de la pièce, des fenêtres presque entièrement cachées par des stores vénitiens et un bar purement colonial, entièrement en bois rouge. L’espace est séparé en petits coins tranquilles et laisse percevoir en fond sonore un vieux classique de jazz du dénommé Louis Armstrong. On comprend vite qu’il s’agit de la pièce préférée des amoureux.

A cette heure, la pièce est vide. Ce couple devait être le dernier à y dîner. En témoignent leurs assiettes et la bouteille de Pessac Léognan 2002, à peine terminée, posée sur une des tables de deux meublant l’endroit. La demoiselle a d’ailleurs oublié son écharpe. Seule, la barmaid essuie quelques verres sans grande conviction, elle nous regarde passer un pied dans la pièce et nous dit d’une voix douce, destinée à ne pas froisser le client, « désolé monsieur, le fumoir ferme, vous pouvez aller au rez-de chaussée ou au club pour boire un verre ». Fin de visite du premier étage donc, dommage, l’endroit méritait plus de lignes dans ce texte.

En redescendant les escaliers, on croise son visage dans un immense miroir dont on n’avait oublié de déceler la présence à la montée. La dernière marche nous laisse avec une vue centrale sur la grande pièce. L’ambiance s’est calmée, quelques tables résistent encore et terminent leur digestif en écoutant leurs femmes respectives les sermonner sur l’alcool au volant. Toutes les tables sont propres et dénapées. A partir de maintenant, le cocktail devient roi.

Quelques tables s’installent et commandent instantanément leur cocktail favori, sans même esquisser un regard sur la carte fraîchement déposée par le serveur. Manhattan, Cosmopolitain, Singapore Sling, Old Fashioned.

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