Faut-il renoncer à ses désirs pour être libre?
Par Ninoka • 6 Juin 2018 • 2 216 Mots (9 Pages) • 1 414 Vues
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Epicure, dans Lettre à Ménécée, distingue les désirs naturels des désirs artificiels. Parmi ces premiers, certains sont nécessaires pour atteindre l’ataraxie, c’est-à-dire la tranquillité du corps et de l’esprit, correspondant à l’absence de trouble donc au bonheur pour Epicure. Cependant, d’autres désirs sont mauvais pour l’Homme, comme par exemple la gourmandise. En effet, Epicure explique qu’il convient de se débarrasser de ces désirs naturels non nécessaires et des désirs non naturels, par intermédiaire de la raison et de la sagesse. Par exemple, le désir de festins et de nourriture à profusion est nuisible à l’homme, car il conduit à long terme à une destruction de la santé, qui est chère à Epicure. Ce dernier prône donc une écoute des désirs, mais cependant avec modération. L’homme peut donc sélectionner ses désirs et conserver ceux conduisant à un « équilibre parfait des atomes », donc au bonheur. Ainsi, grâce à sa raison, l’homme trie ses désirs et oriente son existence vers ce qu’il souhaite, il est donc libre. On peut donc alors considérer qu’il faut renoncer qu’à certains de ses désirs, et satisfaire les autres, pour être libre.
Par ailleurs, nous avions vu que les passions conduisaient dans la société à un asservissement des plus faibles. Mais alors, comment y remédier ? Kant répond que c’est en utilisant sa raison que l’homme peut instaurer des règles de vie commune, afin de maintenir la société qui lui est essentielle. Kant rajoute que c’est justement pour que l’homme s’élève au-dessus de la condition animale que la nature lui a conféré cette « insociable sociabilité », l’obligeant à utiliser sa raison. Ainsi, la liberté à l’échelle de la société est restaurée lorsque la raison, en créant des lois par exemple, limite les désirs, qui ne sont dès lors plus en contradiction avec le concept de liberté.
D’autre part, Rousseau va plus loin et révèle l’importance de l’éducation, qui doit apprendre à chaque enfant, futur citoyen, à restreindre et maîtriser se désirs, et à le diriger, non pas vers l’abîme des plaisirs mais vers la noblesse des grands hommes. D’ailleurs, dans Du contrat Social, Rousseau explique pourquoi la liberté civile a été perdue. En effet, il montre que le peuple est souverain dans les démocraties, mais que l’expression de la volonté générale, c’est-à-dire de celle de tous les citoyens, est irréalisable dans les grandes sociétés. Ainsi, c’est la volonté de tous qui s’exprime, mais en vue de l’intérêt particulier. Dès lors, chacun souhaite combler ses propres désirs, et ne vote pas toujours en vue de l’intérêt général, c’est pourquoi la liberté civile est rarement atteinte. Mais comment la restaurer ? Rousseau répond que c’est en éduquant les citoyens que ceux-ci ne votent plus en fonction de leurs passions mais en vue de l’intérêt général. Ceux-ci atteignent alors une véritable autonomie, dans le sens où ils se soumettent à leurs propres lois. En effet, Rousseau écrit : « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ».
Par conséquent, les hommes seraient alors véritablement libres, même si cette liberté civile demeure un idéal de la raison. Mais est-ce la raison qui s’exprime ici, ou n’est-ce pas au contraire un désir très fort et profond chez l’Homme, celui de survivre et de s’élever au-dessus des autres animaux en orientant sa vie ? La raison ne serait-elle pas alors illusoire, et ne cache-t-elle pas le désir de liberté ? Le désir ne serait-il pas alors le moteur de la liberté, qu’il conviendrait de satisfaire ?
Enfin, on peut donc se demander si la liberté ne consisterait pas plutôt à agir en connaissant véritablement les raisons de nos actes. Mais est-ce possible ? Freud répond, dans Essai sur la théorie de la sexualité, que connaître le mécanisme du désir est indispensable pour accéder à une vérité sur soi. Selon ce psychanalyste, tous les désirs d’un individu sont localisés dans le « ça », dans son inconscient, partie profonde de lui-même, qu’il identifie au morceau immergé d’un iceberg, dont la partie aérienne correspond à la conscience. Mais ces désirs sont arrêtés par une censure, le « surmoi », car non compatibles avec les règles morales de la société, comme le désir Oedipien ou l’interdit de l’inceste. Pourtant, le désir qui portait sur un objet illicite se porte alors sur un objet licite, en accord avec la morale, et devient alors ce que Freud appelle un « objet de transfert ». Mais si l’homme ignore ce mécanisme, il ne connaît pas l’origine de ses désirs, et est donc bien incapable d’agir sur ceux-ci, et n’est donc pas libre. Ainsi, en connaissant, par l’intermédiaire d’un psychanalyste lors d’une cure psychanalytique, ses désirs originels, l’homme peut agir sur ceux-ci et atteindre une véritable liberté. C’est en interprétant les rêves et autres manifestations de l’inconscient que le psychanalyste accède au « ça ». Selon Freud, une négation des désirs est à l’origine des névroses, et l’homme névrosé n’est pas libre car entièrement soumis à ses troubles et ignorant les causes de son malaise. Il ne faut donc pas renoncer à ses désirs, mais apprendre à les connaître, ceci étant une voie vers la liberté.
De plus, la négation du désir est aussi désapprouvée par Spinoza. Selon lui, l’homme libre a conscience de ses actes, mais aussi et surtout connaît les raisons qui en sont les causes. La liberté est donc pour certains illusoire, voilà pourquoi Spinoza affirme dans Ethique : « Les Hommes se croient libres car ils sont conscients de leurs actes, mais ils ignorent les causes qui les déterminent ». Ainsi, en connaissant nos désirs qui sont les moteurs de nos actes, on peut parvenir à une véritable liberté. Spinoza explique qu’il existe trois stades de liberté, liés la connaissance que possède l’Homme. Le plus haut degré de liberté correspond à une connaissance profonde de notre essence et de nos désirs. L’homme ayant atteint ce stade de connaissance peut alors agir selon ses désirs les plus profonds, ce qui lui permet de réaliser son être et d’être heureux. La liberté se définirait alors comme la capacité de répondre à ses désirs profonds et à ceux qui sont cachés au fond de nous-mêmes, et non à de simples pulsions rabaissant l’homme à un état d’esclave. On peut donc dire que le désir est le moteur de la liberté, et donc de l’existence.
Enfin, si la liberté consiste à répondre à ses désirs les plus profonds, celle-ci est inséparable du désir. Si l’homme n’était pas désirant, rien ne le pousserait à l’action ni à prendre
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