Faut-il craindre le regard d'autrui?
Par Raze • 23 Août 2018 • 2 852 Mots (12 Pages) • 1 025 Vues
...
être un soutien, ou même se révéler positif et indispensable ?
En effet, s’il est incontestablement possible de la justifier, la crainte du regard d’autrui ne serait pas quelque chose d’inévitable. Il ne faut pas nécessairement le craindre, ce n’est pas ancré en nous d’avoir peur de ce regard, qui sait parfois se montrer bénéfique.
Premièrement, il ne faut pas craindre le regard d’autrui parce qu’il est indispensable dans la mesure où un monde sans autrui est impossible. En effet, sans l’autre, comment confirmer que ce que nous percevons n’est pas pure fantaisie ou simple délire ? Descartes affirme que le « moi » est plus certain que le monde et l’altérité. C’est le solipsisme. Ainsi, nous n’aurions pas besoin d’autrui pour affirmer une conscience de soi, mais seul a-t-on réellement conscience d’exister ? Cette théorie de Descartes admet donc une limite que Husserl va dépasser en expliquant que nous avons besoin de l’autre pour prendre conscience de notre propre existence. Il soutient que nous n’avons pas d’abord conscience de nous, puis du monde et de l’autre, puisque le monde même dans lequel nous évoluons est marqué par une altérité omniprésente. L’ego est alors d’emblée ouvert à autrui puisqu’il évolue sur les mêmes routes qu’autrui a déjà empruntées, mange de la nourriture cultivée par autrui… C’est ce qu’on appelle l’intersubjectivité : il y a comme une sorte d’association passive entre l’ego et l’alter ego qui évoluent dans ce monde intersubjectif. Cela créée donc une tension et une ambivalence : nous avions vu que l’ego avait propension au rejet d’autrui, mais il en a tout de même grandement besoin. C’est également ce que l’on constate à la lecture de Vendredi, ou les Limbes du Pacifique, dans lequel Michel Tournier insiste sur l’aspect impossible de se passer d’altérité. Sans personne autour de lui, Robinson devient fou. Il lui est impossible de rester civilisé dans de telles conditions, sans altérité. C’est Vendredi qui viendra le délivrer de cette impasse. Ainsi, il ne faut pas craindre le regard d’autrui mais plutôt respecter ce dernier par rapport à son altérité qui nous est indispensable et nous dépasse infiniment.
En outre, le regard d’autrui constituerait un véritable médiateur entre le « moi » et le « moi » intérieur. Grâce à autrui on réussit à connaître réellement la personne qui dort en nous. Il ne faut donc pas le craindre. C’est ce que Sartre théorise notamment dans « l’Être et le Néant ». Pour lui, ce n’est pas dans le conflit ou la joute que se trouve le paradigme du regard d’autrui sur nous, c’est dans une sorte d’épreuve. Quand autrui nous regarde, et prend conscience de notre existence, nous sommes entièrement soumis à sa subjectivité, que nous éprouvons. Mais en même temps, quand autrui nous regarde, il nous donne la possibilité de réellement nous découvrir et de nous connaître. Pour Sartre, la connaissance de soi et le regard d’autrui sont intrinsèquement liés, c’est-à-dire que le regard d’autrui est le miroir de l’ego, son médiateur. Il écrira donc : « autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même » (L’Être et le Néant) Pour avoir une véritable connaissance de moi-même, il faut passer par le regard de l’autre. C’est pour cela que Sartre décrit l’exemple de la honte. Si un ego réalise une action maladroite ou déplacée, il va simplement continuer de vivre avec. Par contre, si l’ego réalise que quelqu’un l’a vu, il va tout de suite réaliser la grossièreté de son action et ressentir de la honte. Il a donc fallu qu’autrui pose le regard sur lui pour que l’ego ressente de la honte et se voie comme autrui le voie. Ainsi, grâce au regard d’autrui, selon Sartre « je reconnais que je suis comme autrui me voit » (L’Être et le Néant). Le regard d’autrui est alors bénéfique car il nous permet de nous dévoiler à nous même en jouant un rôle d’intermédiaire.
De plus, lorsque l’on craint le regard d’autrui, on s’enfermerait dans une bulle et on rejetterait l’autre, son altérité et sa différence. Nous craignons la plupart du temps ce qui est, nous le pensons, susceptible de nous faire du mal. Mais si l’on ne connaît pas ce que nous craignons, comment savoir s’il est susceptible de nous faire du mal ? La crainte est en fait une peur de l’inconnu, et est donc étroitement lié avec l’ignorance. A ce moment là, lorsqu’on a peur de ce que l’on ne connaît pas, le savoir est la solution, l’érudition est la clé. C’est de cette peur de l’inconnu qu’est né le racisme. La haine découle de la crainte du regard que cet étranger « xénos » ose porter sur nous, du regard neuf et inconnu qui nous insécurise et pourrait nous faire du mal. Quand, dans l’Étranger de Camus, Meursault tue « l’arabe » et ne le désigne que par cette périphrase, c’est parce qu’il s’est senti en danger face à ce regard inconnu. L’alter ego qui se tenait face à lui lui semblait trop différent pour prévaloir quoi que ce soit de favorable. Sa seule réaction fut alors de lui tirer dessus, conduisant ainsi à la mort de « l’arabe » et à la sienne. Quand Meursault craint le regard de cette autre, cet « arabe » comme il l’appelle, et le tue pour se défendre, il s’empêche physiquement de vivre puisqu’il est condamné à mort. Lorsque nous craignons le regard d’autrui par crainte de l’inconnu, nous nous empêchons de vivre, dans le sens où nous nous amputons une partie de nous-même qui souhaiterait découvrir l’autre ou se soumettre à un regard neuf et aiguisé. Il ne faut donc pas craindre le regard de l’autre simplement car il nous insécurise du fait que nous ne le connaissons pas.
Ainsi, il faudrait réussir à dépasser la crainte du regard d’autrui afin d’accepter ce dernier. Il serait en effet important de mesurer la nécessité du regard d’autrui qui se pose sur nous et de l’accepter, voir de réussir à le considérer comme bénéfique.
Et si, à défaut du regard d’autrui, il fallait plutôt se craindre soi-même ? Il faudrait en effet réussir à se donner au regard d’autrui sans s’ôter à soi-même, c’est-à-dire à l’accepter sans pour autant en dépendre. Si nous ne réussissons pas à faire cela, ce n’est pas le regard d’autrui qu’il faut craindre : c’est nous-même.
Il faudrait se craindre soi-même si l’on n’arrive pas, par-delà le poids du regard d’autrui, à réfléchir à l’intérieur de soi. Même si le regard d’autrui n’est ni à craindre ni à bannir, l’introspection possède une valeur importante. En effet, selon le type d’altérité qui nous soumet à son regard,
...