Le caractère contradictoire de la réception
Par Ninoka • 30 Octobre 2018 • 3 467 Mots (14 Pages) • 465 Vues
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soumise à la volonté des constructeurs ou de leurs assureurs. En effet, pour échapper à leurs obligations, ceux-ci n’auraient qu’à refuser d’apposer leur signature sur le procès-verbal. Seule la réception judiciaire offrirait alors une réelle sécurité mais son développement serait une source d’engorgement des tribunaux.
Quelques arrêts d’espèce semblent néanmoins ébranler cet édifice jurisprudentiel. Ces décisions résiduelles semblent cependant rendues eu égard des circonstances particulières des litiges. Dans un premier arrêt rendu le 18 juin 1997, la solution s’expliquait par la mauvaise qualité des travaux réalisés, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation s’appuyant sur l’absence de signature du procès-verbal par l’entrepreneur pour écarter la réception. Dans une autre espèce, les juges ont délibérément subordonné le caractère contradictoire de la réception à la signature du constructeur afin que le maître de l’ouvrage puisse rechercher la responsabilité de droit commun du constructeur (3ème chambre civile, 13 mars 2007, n°06-13294). La Haute cour a également invalidé une réception sans réserve d’un ouvrage affecté de désordres apparents afin de permettre au maître de l’ouvrage de rechercher la responsabilité contractuelle de droit commun d’un constructeur, en invoquant que le procès-verbal n’avait pas été signé par l’entrepreneur (n°07-18.104, arrêt du 4 novembre 2008).
La portée de ces arrêts reste cependant limitée par le fait que la solution rendue est propre aux circonstances d’espèce. Des décisions plus récentes confirment la constance jurisprudentielle selon laquelle le caractère contradictoire de la réception n’est pas soumis à la signature du procès- verbal. Une décision du 12 janvier 2011 précise dans sa motivation que l’exigence de la contradiction ne nécessite pas la signature formelle du procès-verbal de réception par l’entrepreneur dès lors que la participation de ce dernier aux opérations de réception est établie.
Cette jurisprudence faisant également référence à la participation de l’entrepreneur aux opérations de réception a causé des interrogations diverses en ce qui concerne la convocation de l’entrepreneur.
B. Le rôle central de la convocation
La convocation est l’acte matérialisant la volonté de celui qui la réalise d’appeler des personnes à se réunir. Elle rend la réception contradictoire et, par là-même, rend opposable le procès-verbal au locateur d’ouvrage alors même qu’il n’aurait pas effectivement participé aux opérations de réception. Elle joue donc un rôle central.
La subordination de l’appréciation du caractère contradictoire à la seule convocation du constructeur permet d’en déduire que la présence du constructeur aux opérations de réception n’est pas nécessaire. L’arrêt précité de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation du 12 janvier 2011 (n°09-70.262) était venu ébranler cette affirmation. Les faits sont classiques : un entrepreneur s’était présenté aux opérations de réception mais n’avait pas signé le procès-verbal. La 3ème chambre a bien constaté la réception contradictoire de l’ouvrage mais la formule utilisée semblait ouvrir une brèche. La Haute juridiction affirme en effet que « l’exigence de la contradiction ne nécessitait pas la signature formelle du procès-verbal de réception dès lors que la participation aux opérations de réception de celui qui n’a pas signé ne fait pas de doute ». La Cour semble suggérer ici que la convocation n’est pas suffisante pour attester du caractère contradictoire des opérations de réception et qu’il est nécessaire d’ajouter la participation effective du locateur d’ouvrage.
Dans un arrêt récent, la Haute juridiction va mettre un terme aux hésitations suscitées par cet arrêt en rappelant que l’absence du locateur d’ouvrage aux opérations de réception est indifférente dès lors qu’il a été régulièrement convoqué aux opérations de réception, cette absence ne privant pas le procès-verbal de réception de son caractère contradictoire (3ème chambre civile de la Cour de cassation, 3 juin 2015, n°14-17.744).
Aucun formalisme n’est imposé à la convocation par le législateur. Cependant, on perçoit ici son rôle essentiel et l’importance pour le maître de l’ouvrage de conserver la preuve que celle-ci a bien été adressée au locateur d’ouvrage, afin d’éviter toute contestation ultérieure de l’opposabilité de la réception, notamment par l’assureur du locateur qui pourrait ainsi échapper aux garanties. C’est l’importance de ces précautions que nous rappelle l’arrêt rendu le 5 juin 2014 par la 4ème chambre civile de la Cour d’appel de Rennes. Elle énonce que « Monsieur X absent lors de la réunion du 14 juin 1996 ne versant pas aux débats le courrier de convocation du 11 juin 1996 que Monsieur Y soutient lui avoir adressé par lettre simple en vue de la réception, c’est à juste titre que le premier juge a considéré que la réception n’était pas contradictoire et que le procès-verbal de réception établi le jour même lui était inopposable ». Au regard de l’absence de communication par le locateur d’ouvrage de la convocation reçue et de l’incapacité pour l’architecte de prouver que ce dernier l’avait bien reçue puisque l’envoi s’était fait par lettre simple, la réception intervenue ne pouvait lui être déclarée opposable. On constate que les conséquences sont importantes pour l’architecte qui se retrouve privé de recours et, s’il n’y a effectivement aucune disposition légale imposant un formalisme, le maître de l’ouvrage a tout intérêt à utiliser la forme de la lettre recommandée avec accusé de réception pour la convocation afin de disposer d’un instrument efficace de preuve.
Le respect du contradictoire en matière de réception expresse est sujet à nombreux débats, mais qu’en est-il des autres formes de réception?
II - La réception contradictoire « en tout état de cause »
L’article 1792-6 alinéa 1er du Code civil dispose, in fine, que la réception « est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement ». Bien que ne mentionnant pas la réception tacite, cet article ne l’exclut pas. Peut-on alors considérer que le principe du contradictoire est applicable à la réception tacite (A)? Dans quelle mesure ce principe est-il appliqué aux opérations de réception judiciaire (B)?
A. Le contradictoire dans la réception tacite
L’article 1792-6
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