Conseil d’Etat, 6 mars 2009, Coulibaly
Par Ninoka • 3 Juin 2018 • 2 042 Mots (9 Pages) • 1 773 Vues
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En l’espèce, les juges du Conseil d’Etat confondent ces deux régimes : ils alignent ici le régime du retrait sur le régime de l’abrogation en déclarant impossible le retrait ou l’abrogation d’une décision créatrice de droits illégale quatre mois après l’intervention de cette décision.
Ressurgit alors ici l’intérêt de la notion de décision créatrice de droits : le régime applicable ne dépend plus de la technique (abrogation ou retrait) utilisée par l’administration, mais de la nature de la décision et des droits auquel il est porté atteinte. Ainsi, puisqu’en espèce il s’agit d’une décision individuelle ayant créé des droits, il est impossible deux années plus tard d’en prononcer l’abrogation.
Cette solution permet d’imposer une solution stable à une question qui a fait l’objet de nombreuses jurisprudences de la part du Conseil d’Etat, depuis l’arrêt Dame Cachet du 3 novembre 1922, qui rendait possible le retrait d’une décision créatrice de droit dès lors qu’elle était illégale et non définitive, dont la solution sera reprise par l’arrêt Pain en janvier 1991 dans le cadre de l’abrogation, avant de voir les régimes séparés par les arrêts Soulier et Ternon tels qu’exposés précédemment.
La stabilité de cette solution est renforcée par le Code des Relations entre le Public et l’Administration, dont l’article L242-1 reprend précisément la solution dégagée par les juges du Conseil d’Etat dans l’arrêt qui fait l’objet de ce commentaire.
Toutefois, cette décision rendue par le Conseil d’Etat, si elle a le mérite d’imposer un régime unique et stable au retrait et à l’abrogation d’une décision créatrice de droits, ne dessert par l’intérêt public : en espèce, l’illégalité de la décision est, comme vu précédemment confirmée par les juges, et cette illégalité contrevient à l’intérêt public. Ainsi, les juges choisissent ici de protéger une autre notion, celle des droits acquis.
- La protection des droits acquis de bonne foi
Si les juges choisissent ici de protéger les droits acquis (A), ils écartent cette protection des droits acquis frauduleusement (B).
- Le refus de l’abrogation par respect des droits acquis
La notion de droits acquis fait l’objet de nombreux questionnement de la part de la doctrine, qui, comme pour la notion d’acte individuel créateur de droit, a du mal à en établir une définition efficace et s’imposant à tous. Elle peut toutefois se définir en droit administratif comme « le droit au maintien » d’une décision individuelle. Ainsi, une distinction s’opère entre la notion de droits acquis et celle des actes créateurs de droit, mais ces notions peuvent être perçues comme liées. En effet, une personne peut se prévaloir de droits acquis lorsqu’elle bénéfice d’un acte créateur de droits.
En l’espèce, les juges du Conseil d’Etat estiment que le Conseil départemental ne peut décider, plus de quatre mois après sa décision d’inscription de M. Coulibaly, d’annuler ladite décision, « sans méconnaitre les droits acquis » résultant de l’inscription. En effet, en décidant deux années après son inscription au tableau de l’ordre des chirurgiens dentaires d’écarter M. Coulibaly de cette même liste, le Conseil départemental contrevient aux droits acquis d’une certaine manière par le bénéficiaire de l’acte, précité. Ce dernier peut en effet peut se prévaloir en effet d’une certaine situation fondée sur l’acte créateur de droit, puisqu’il a exercé pendant deux ans dans le domaine public, avant de choisir de s’installer à titre libéral.
Ainsi, le Conseil d’Etat instaure un délai à l’abrogation d’un acte individuel créateur de droit, contrevenant ainsi à l’arrêt Soulier, cité précédemment, qui rendait possible l’abrogation à tout moment dès lors que la décision était créatrice de droit et illégal.
Par cette solution, le Conseil d’Etat choisit de protéger, de manière raisonnable, les droits acquis par un acte créateur de droits. On peut estimer qu’au-delà ce délai de 4 mois, le bénéficiaire d’un acte créateur de droit peut se prévaloir raisonnablement des droits acquis par ce même acte, par opposition à la solution de l’arrêt Soulier qui ne protégeait qu’en partie ces droits acquis en refusant l’annulation rétroactive, c’est-à-dire le retrait.
Cette protection de l’intérêt du bénéficiaire se retrouve dans l’exclusion des délais, par le Conseil d’Etat en l’espèce, lorsqu’il est satisfait à une demande du bénéficiaire par le Conseil d’Etat en l’espèce. Cette solution reprend celle dégagée par l’arrêt Corcia rendu par le Conseil d’Etat le 6 juillet 2005, où la demande de retrait d’une acte créateur de droit de la part du bénéficiaire dudit acte avait été accueilli favorablement, dès lors que le retrait de cette décision ne lésait aucun tiers.
Toutefois, si au regard du bénéficiaire de l’acte créateur de droits et du respect des droits acquis, cette solution est louable, elle ne peut s’apprécier de la même manière lorsqu’on se penche sur la défense de l’intérêt public.
C’est pourquoi les juges du Conseil d’Etat ont posé certaines limites à la protection des droits acquis, notamment par l’écart des délais de remise en cause d’un acte créateur de droit en cas de manoeuvres frauduleuses.
- L’exception des droit acquis frauduleusement
Si le Conseil d’Etat a décidé en l’espèce d’instaurer (ou ré-instaurer) un délai de prescription pour remettre en cause une décision créatrice de droit illégale, cette mesure ne s’applique pas lorsqu’il est démontré que cette décision est entachée d’illégalité par suite de manoeuvres frauduleuses.
En effet, en l’espèce, le Conseil d’Etat vérifie que M. Coulibaly ne s’est pas prévalu de diplômes dont la reproduction était frauduleuse. Cette possibilité étant écartée, le régime s’applique avec le délai de prescription normal. Ainsi, le Conseil d’Etat rend une solution qui protège les intérêts du bénéficiaire de l’acte qui fait l’objet de la décision d’annulation, en partie car les droits acquis par cet acte ne sont pas issus de manoeuvres frauduleuses.
La différence de délai de prescription tirée du caractère frauduleux ou non du fondement d’une décision est tout à fait logique, et ne fait que confirmer une, parmi d’autres, jurisprudence
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