Victor SEGALEN, Equipée, incipit.
Par Matt • 28 Octobre 2018 • 1 046 Mots (5 Pages) • 568 Vues
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Un moment-clé de ce texte que l’on peut considérer comme une approche théorique de la littérature est l’accumulation, se doublant d’une gradation ascendante dans l’opposition flagrante entre l’imaginaire et le réel — et ce, dans le topos de la littérature de voyage — : d’une opposition stylistiquement faible, celui [le monde] que l’on pense et celui de la route à la maestria littéraire, entre le fleuve coulant dans les alexandrins longs, et l’eau qui dévale vers la mer. En effet, Victor SEGALEN, en créant des images fortes (le caractère ailé du langage s’opposant à l’effort physique d’une marche), en faisant — à juste titre —, appel à l’imaginaire de son lecteur, invite à mesurer l’ampleur de la confrontation entre ces deux modalités d’expression de la condition humaine. On croit assister là à un événement de la littérature, à quelque chose de crucial ; à un moment essentiel de la littérature. Le texte de SEGALEN intervient en deux endroits : celui d’un questionnement critique par rapport à un genre et à un enjeu de la littérature générale et un autre d’une mise en scène poétique, frappante, réussie d’une équipée, d’un duel entre deux personnages, deux entités. Victor SEGALEN revient à sa préoccupation immédiate en situant son livre — ou plutôt, en ne le situant pas ; en refusant qu’il soit le poème d’un voyage ou bien le journal de route d’un rêve vagabond —. L’auteur n’accepte pas que le duel entre l’imaginaire et le réel ait lieu dans sa littérature, refusant de séparer les personnalités de l’imaginaire et de la créativité (le poète, l’écrivain et le peintre) des personnalités du monde autonome, du réel (l’alpiniste, le marinier et le topographe). SEGALEN appelle à l’universalité du sentiment de beauté et de joie ; en tous les endroits, matériels ou non, dans les muscles, dans les yeux, dans la pensée, dans le rêve. L’ambition littéraire de SEGALEN est claire ; puisque ces mondes sont en concurrence, la tâche du littérateur est a priori d’établir des rapports plus pacifiques entre ces deux modalités d’expression de la condition humaine. Son projet poétique et littéraire ne l’empêche pourtant pas d’accepter que le duel pourrait tout de même avoir lieu, si, décidément ils se nuisent, se détruisent jusqu’à la nécessité éthique de choisir un vainqueur. SEGALEN fait preuve ici d’une extrême lucidité, sachant comment ces deux mondes, dans le paradigme de l’écriture, sont plus ou moins indépendants de la volonté — même s’ils n’ont pas d’autonomie spécifique, l’on peut choisir de faire passer l’imaginaire par le réel ; masquer la créativité en privilégiant le réel ; au fond ne pas savoir comment et pourquoi choisir —. SEGALEN fait vivre à son lecteur une expérience à laquelle il est lui-même confronté : l’expérience du monde et du voyage sous le prisme de la valeur de l’exotisme. Cette expérience faisant de l’homme vivant un corps et un esprit.
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