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Le rythme dans Carnet d'un retour au pays natal. Césaire

Par   •  20 Juin 2018  •  5 852 Mots (24 Pages)  •  609 Vues

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le rythme écrit ne semble pas être le moyen approprié pour ce projet, il cède alors à un rythme plus oral « Je retrouverai le secret des grandes communications […] ma terre ». Le texte s’oralise progressivement grâce à un rythme changeant : disparition de la ponctuation, des alinéas, des majuscules, multiplication de répétitions.

Attention, le processus d’oralisation n’est pas encore complet comme le montre la p°22 où le retour en force de la ponctuation situe le discours dans un cadre syntaxique et un rythme narratif et prosaïque. Ainsi, il s’agit systématiquement d’une non parole qui sert à dissimuler la vérité du peuple et l’impuissance de poète à dire. Cette parole inefficace et non effective se caractérise par des rythmes particuliers qui différencient radicalement le peuple des Antilles et le je du récitant comme des opposés.

Dans la deuxième partie (Marie)

Cette deuxième partie du cahier offre de nouvelles modalités à la parole, celle ci devient de plus en plus visible mais surtout de plus en plus vive. Elle induit dès lors une frénésie du rythme lui même. On peut constater que ceci intervient après une rupture à la page 24 : Le petit matin s’ouvre désormais sur l’Europe. Le cahier se transforme en réquisitoire contre cette Europe colonialiste.

La parole est donc ici insurrectionnelle. Par l’usage de la parole dans ce qu’elle a de plus effective, le Je poétique s’approprie dès lors le monde coloniale pour mieux le déconstruire. De ce fait elle s’oppose à toute forme de bienséance pourtant propre au premier abord au langage poétique à des fins d’en faire un cri fondamental au sens littéral du terme. En cela elle veut s’approcher au plus près possible d’une certaine authenticité.

Ainsi cette parole apparaît comme transgressive, elle brouille la frontière entre la raison et la folie. Une folie qui se déploie et s’exprime dans une sorte de transe dans laquelle le Je poétique semble se mouvoir et que le rythme épouse à la perfection. En effet, nous pouvons constater cela par l’utilisation d’un grand nombre de marqueurs du discours direct tel que des points d’interrogation ou d’exclamations permettant à la parole de suivre le cours des émotions ressentis par le poète qui arborant un rythme non-linéaire est dès lors capable de se sentir libre de dire ce qu’il veut, comme il le veut.

De plus, par la prise de parole totalement libre et sans entrave dont semble jouir le poète, la parole acquiert alors une dimension véritablement cathartique. En effet, le Je poétique dans la partie d’Ophélia était bloqué par une frustration de ne pas réussir à dire, ici il est dès lors en mesure, non seulement de blâmer, mais aussi et surtout de s’affirmer. Le « Je », le « Moi » sont de plus en plus présents et n’ont de cesse d’être utilisés dans des formules actantes. Le Je poétique ne se contente plus de regarder en « immobile spectateur », il ne se contente plus d’être dans le fantasme de ce qu’il pourrait dire ou de ce qu’il pourrait être. Il est, Il dit, et de ce fait il agit. La parole est acte.

Dans la troisième partie (Lise)

Habituellement, l’oral est le fruit d’une expression naturelle, tandis que l’écrit serait plus structuré. Typiquement, quand l’écrit intègre l’oral, il le présente sous la forme du discours direct, du dialogue comme Ophélia l’a évoqué dans le premier mouvement. Ici, ce n’est pas le cas puisque la parole écrit est stimulée, vivante. D’habitude, la production orale, en passant par l’écrit prend une forme fixe et linéaire qui ne lui est plus naturelle. Parole spontanée, puissante au nom d’une révolte. Elle acquiert plusieurs fonctions, mais surtout au service de l’affirmation de la culture noire et de la négritude > « Mais quel étrange orgueil tout soudain m’illumine ? » lance-t-il p.44

Cette troisième partie est un passage transitoire du chaos, de l’hybris à la régénération: « Il y a dans le regard du désordre cette hirondelle de menthe et de genêt qui fond pour toujours renaître dans le raz-de-marée de ta lumière » P.45 . Cette représentation poétique excède même le cadre métaphorique pour exprimer une allégorie apocalyptique du renouveau de la négritude, affirmant une authenticité et une culture, belle et légitime : dans cet extrait, à la page 52, la fierté du Peuple est soulignée par un rythme particulier donné par les parenthèses, les points de suspension et la binarité: la race du poète devient sa reine, il l’accepte. (ma race(...) ma race(...) ma reine (...) ma reine (…), ma reine (…)).

La révélation négritudienne naît ainsi de la lutte à la fois interne par le biais d’une introspection individuelle (pour l’auteur) collective (le peuple), et externe en tant que mouvement de résistance anticoloniale, qui permet à l’auteur de se remémorer le douloureux passé des nègres. Si le peuple nègre n’est pas à l’origine de grandioses découvertes/projets, il connaît néanmoins la souffrance, la douleur et cela fait de lui un peuple fort et respectable comme c’est indiqué à la p°44. « « Ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole/ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur ni l’électricité/ ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel/ mais ils savent en ses moindres recoins le pays de souffrance / ceux qui n’ont connu de voyages que de déracinements/ ceux qui se sont assoupis aux agenouillements/ ceux qu’on domestiqua et christianisa/ ceux qu’on inocula d’abâtardissement/ tam-tams de mains vides/ tam-tams inanes de plaies sonores/ tam-tams burlesques de trahison tabide »

L’auteur procède d’une introspection de l’histoire, du physique nègre, de ses terres «la détermination de ma biologie, non prisonnière d’un angle facial, d’une forme de cheveux, d’un nez suffisamment aplati /.... et la négritude, non plus un indice céphalique, ou un plasma, ou un soma, mais un compas de la souffrance. » qui se ponctuent de déclaration « J’accepte ». Affirmation qui reviendra à maintes reprises et qui ponctuent cette troisième partie. En comparent ce passage à la p°40 qui appartient au premier mouvement, on remarque foncièrement l’évolution du thème par l’utilisation d’un rythme radicalement différent.

De ce fait, Césaire ouvre magistralement une nouvelle histoire, son poème, son cri assumé, sa voix nouvelle réunie son être et son pays, les Antilles, qui deviennent alors un véritable interlocuteur, confusion métonymique du pays avec ses habitants. Nous assistons à une prise de conscience

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